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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/945

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par la tempête, étranger à l’équipage, n’ayant rien juré aux officiers de la nouvelle promotion, et persuadé qu’ils faisaient voile contre le vent, Lamartine, qui se sentait les mains assez fortes pour tenir la barre, avait le droit de s’en emparer, de lancer le vaisseau sur la route qu’il croyait bonne, et de gouverner vers l’avenir. M. de La Rochejaquelein donnait à tous les vaincus de 1830 leur devise, quand il s’écriait, dans la séance du 24 février : « Il appartient à ceux qui, dans le passé, ont toujours servi les rois, de parler maintenant du peuple. »

Notre auteur termine son livre en dressant le bilan du régime. Il confesse à nouveau les misères et les fautes ; il met en regard les dix-huit années de paix et de prospérité, le bon fonctionnement des rouages parlementaires, la gestion prudente de nos intérêts au dehors ; et prenant avantage de la situation favorable où se trouvait la France à la chute de la monarchie de Juillet, il sollicite de l’histoire, après comparaison avec les gouvernemens qui ont précédé et suivi, une mention hors ligne pour ce régime. Si l’on était en humeur de le contredire, il suffirait peut-être de lui opposer ce passage de son mélancolique épilogue : « Ainsi a disparu cette monarchie qui, tout à l’heure encore, semblait si bien assise. Elle est tombée, sans que sa chute ait été préparée ou provoquée par quelque événement intérieur ou extérieur, tel que les ordonnances de juillet 1830 ou la défaite de Sedan en 1870. Elle a été vaincue sans qu’il y ait eu bataille, car certes on ne peut donner ce nom aux échauffourées partielles qui, en trois jours, n’ont coûté la vie qu’à 72 soldats et 289 émeutiers. Un effet sans cause, a-t-on pu dire. Aucune histoire ne laisse une impression plus triste… » Voilà une défense qui pourrait se tourner en réquisitoire. L’historien ne croit guère aux effets sans cause ; avouer qu’une armée a disparu sans être attaquée, c’est faire un singulier éloge de sa valeur intrinsèque. — Mais si j’ai discuté quelques assertions et quelques tendances de ce livre, rendant ainsi le meilleur hommage à son autorité, je ne sens nulle envie d’en contester les conclusions. Nous sommes trop près de cette période pour deviner à quel moyen terme l’histoire s’arrêtera, entre la furieuse épitaphe de M. Desmousseaux de Givré : « Rien, rien, rien ! » et le panégyrique discret de M. Thureau-Dangin. En achevant la lecture de son œuvre, je ne garde qu’une opinion très ferme : le rang éminent qu’il réclame pour la monarchie de Juillet serait hors de discussion, si l’on devait classer les gouvernemens d’après le mérite des historiens qu’ils suscitent.


EUGÈNE-MELCHIOR DE VOGUÉ.