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REVUE DRAMATIQUE

Théâtre du Vaudeville : le Prince d’Aurec, comédie en trois actes de M. Henri Lavedan.

Ce qu’il y a le moins dans la pièce de M. Lavedan, c’est une pièce ; ce qu’il y a le plus, c’est de l’esprit : un esprit d’ironie, d’amertume et de satire, qui pince, qui blesse, qui fustige et qui mord.

Il était une fois un prince et une princesse. Le prince ayant besoin de quatre cent mille francs pour une dette de jeu, et la princesse de deux ou trois cent mille pour une note de couturière, tous les deux, à l’insu l’un de l’autre, empruntent la somme totale à un riche baron israélite, de leurs familiers, qu’ils méprisent et dont ils sont méprisés. Le jour où le prêteur exige de la princesse le genre de remboursement que vous pensez, le noble couple s’indigne et menace de chasser le juif insolent. Mais il faudrait le payer d’abord, et, le ménage princier ne possédant plus guère que son nom, c’est la duchesse douairière qui règle le compte. De ce baron juif et de ce prince chrétien, lequel vous paraît le plus honorable ? « Monsieur, comme dit à l’un de ses pareils je ne sais plus quel héros de M. Cherbuliez, ma pourriture salue la vôtre. »

Telle est la donnée du Prince d’Aurec. Peu de poisson, mais beaucoup de sauce, et une sauce si relevée que parfois elle emporte la bouche. Les deux premiers actes se passent tout entiers en paroles, en paroles amères, sanglantes même, et nous connaissons les gens par des mots plus que par des faits. Voici le prince d’Aurec, en tenue de gentilhomme-cocher. Il descend de son siège. D’où vient qu’il a le