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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/947

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front soucieux ? Aurait-il accroché ? Non pas. Il a seulement perdu 400,000 francs la nuit dernière. S’il a pourtant mené son mail ce matin, c’est que noblesse oblige. Voici la princesse, une mince poupée, éprise jusqu’à la folie de chiffons et de divertissemens. Elle donne demain une fête costumée, où l’on dansera la pavane, et le cousin Jojo, un petit imbécile de vicomte, est venu tout exprès de Nantes pour régler cette figure chorégraphique : il conduit le cotillon, comme d’Aurec la diligence. Voici le marquis de Chambersac, agent commissionné d’affaires équivoques, dénicheur de parchemins à bon compte, courtier de riches mariages et brocanteur d’épées de famille. Voici encore le baron de Horn, le financier juif millionnaire, qui, de ses millions ; achète ses entrées dans la noble maison, l’honneur de toucher aujourd’hui la main droite du prince et surtout l’espoir de toucher demain la main gauche de la princesse. Qui citerons-nous encore ? Le romancier Montade, admis ou toléré ici pour ses livres, comme de Horn pour son argent ; enfin, la duchesse douairière de Talais, mère du prince, une honnête femme, celle-là. Malheureusement pour la noblesse de France, elle est née Virginie Piédoux et fille d’un fabricant de machines à faire le beurre. C’est entre ces divers personnages que se déroule, durant les deux premiers actes, non pas l’action, mais le dialogue, un dialogue qui tout le temps siffle et fouette comme une poignée de verges. Très brillante, au premier acte, une scène entre Horn et Montade ; elle étincelle de traits aigus et qui portent, mais qui porteraient mieux encore, lancées par d’autres mains que celles de Horn, ce prêteur à intérêts galans, cet usurier d’amour. Non moins vive et plus forte, la grande scène du second acte entre la mère et le fils. Le costume des personnages la fortifie encore. La duchesse est en Mme de Maintenon ; le prince en connétable. Il a coiffé le casque et ceint l’épée de son aïeul Guzman ; les reliques se mêlent aux oripeaux et le contraste s’accuse, plus ironique et plus amer, entre la gravité de l’entretien ou de la querelle et le ridicule des accoutremens. La vieille question de la race, de la supériorité due à la seule durée, à l’honneur venant « du nom que l’on signe et non des actions qu’on fait, » cette question est abordée par les deux interlocuteurs en paroles hardies : « Avec le nom que je porte, s’écrie le prince, pour excuser son oisiveté… — Eh ! mon enfant, répond la duchesse, vous ne portez plus vos noms ; ce sont eux qui vous portent. » Elle a raison ici contre son fils ; mais, plus loin, lorsqu’au sang des Talais qui furent des fidèles, des vainqueurs et des héros, le jeune viveur oppose impudemment le sang des Valais, qui furent des lâches, des traîtres et des régicides, alors le fils et la mère n’ont-ils pas raison l’un contre l’autre, et quel dommage, quand on a tant d’ancêtres, de ne pouvoir choisir !

Des trois actes de la comédie, le dernier est de beaucoup le