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lui étaient connues d’ancienne date. A Londres, au temps de l’émigration, Hyde de Neuville avait vu se développer le mysticisme de son ami. Il rapporte un épisode de cette époque. Entré un soir par hasard dans une petite chapelle catholique, M. de Polignac avait été vivement frappé par la voix et la beauté d’une jeune fille qui chantait des cantiques à l’autel. Il revint souvent dans l’oratoire et se lia avec cette personne. Quand le prince paraissait, la chanteuse descendait de l’autel, venait à lui, traçait sur son front le signe de la croix et révélait à l’émigré des circonstances de sa vie connues de lui seul. Un jour enfin, dans un accès prophétique, la mystérieuse sibylle dit au visiteur : — « Dans quelques années, vous serez le dernier conseiller du roi de France et la dernière victime sacrifiée à sa cause. » — En 1830, le prince Jules s’empressa de justifier la prophétie. Hyde de Neuville disparut de la scène politique avec la monarchie pour laquelle il avait usé sa vie. Il n’était pas de ceux qui pouvaient en servir une autre. Une dernière fois, l’héroïque équipée de Mme la duchesse de Berry lui donna la tentation de conspirer ; mais l’entrain de jadis n’y était plus. Il prodigua les plus sages conseils à la noble femme, refusa de la suivre dans une aventure nuisible selon lui à la légitimité, et n’en fut pas moins arrêté à cette occasion avec son ami Chateaubriand.

L’ombre de l’illustre ami s’étend sur tout le troisième volume, en partie rempli par la correspondance de Chateaubriand ; cet appendice ne déparerait pas les Mémoires d’outre-tombe. Quelques-unes de ces lettres sont admirables : René s’y montre tout entier, avec ses rugissemens habituels quand il parle de M. de Villèle et de ses adversaires politiques, avec sa coquetterie câline, quand il veut séduire ses petites amies, les jeunes nièces du châtelain de Lestang. Le baron Hyde s’était également lié avec Lamartine de façon assez singulière. Le hasard avait fait tomber entre ses mains une lettre inquiétante, adressée jadis au poète par « une femme dont l’âme était pleine de feu et d’amour. « Il crut devoir écrire au destinataire de cette lettre pour lui restituer le précieux dépôt. Le bon Lamartine répond par quelques lignes tout à fait convenables sur la lointaine délaissée ; on sent qu’il n’a d’elle qu’un très vague souvenir ; il ne peut comprendre comment ces lettres qu’il croyait anéanties lui ont été dérobées. Et la correspondance passe aussitôt aux théories politiques dont il avait l’âme occupée, à un plaidoyer pour les Polonais. — Mais l’amitié envahissante de’ Chateaubriand ne laisse que peu de place aux autres. Après 1830, Hyde de Neuville devient le principal confident des mélancoliques souvenirs. De temps en temps, le morose charmeur s’échappe de l’Abbaye-au-Bois, pour aller passer quelques jours dans le Cher, à ce manoir de Lestang où se