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contre l’insolence des histrions, tandis que leurs amis et les philosophes s’indignaient de le voir prodiguer l’outrage à ceux qu’il avait applaudis vingt ans de suite. L’aventure se dénoua par une sorte de cote mal taillée ; du Belloy retira le Siège de Calais, afin qu’on ne pût réclamer la pièce avec Dubois, et celui-ci demanda son congé, ne pouvant, dit-il, vivre avec des maroufles comme ses camarades. Seule Clairon maintint sa démission et partit pour Genève, Ferney, la Provence : elle espérait un arrangement qui lui permît de rentrer avec les honneurs de la guerre, la comédie érigée en Académie royale dramatique, les acteurs et les actrices relevés de leurs déchéances, confirmés valets de chambre du roi, femmes de chambre de la reine, en vertu de lettres patentes de Louis XIII que l’on prétendait avoir retrouvées. Mais le maréchal de Richelieu ne voulut pas faire de peine à la petite Dubois, le duc de Praslin, ancien amant de Dangeville, qui détestait Clairon, se mit de la partie, et, malgré l’appui du duc d’Aumont, du duc de Duras, l’affaire fut enterrée au conseil. Voltaire, qui avait remué ciel et terre et qui voyait déjà la déclaration du roi minutée, enregistrée, étala un grand désespoir, et l’altière Clairon notifia sa volonté définitive de ne plus remonter sur les planches : la jouissance de ses droits de chrétienne et de citoyenne, la lecture d’Épictète, devaient, à l’entendre, la consoler de tous les hasards de la nature et du sort. Elle n’avait que quarante-quatre ans et quittait le théâtre en pleine gloire, dans le plus grand éclat de son talent. Voici son ordre de retraite. « Nous, maréchal duc de Richelieu, pair de France, premier gentilhomme de la chambre du Roy : Nous, duc de Duras, pair de France, premier gentilhomme de la chambre du roy : Mme Clairon, après avoir servi le Roy et le public pendant vingt-deux ans, avec la plus grande assiduité et la plus grande distinction, se trouvant forcée, à cause de sa mauvaise santé, de quitter le théâtre, lui avons accordé en conséquence son congé de retraite avec la pension, conformément au règlement… Fait à Paris, ce 23 avril 1766. » Mais, tandis que Dubois obtenait 2,000 livres de pension, tandis qu’on accordait à Mlles Allard et Guimard des pensions de 1,200 livres au bout d’un an, à Mlle Heinel 8,000 livres après quatorze ans de service, la pension de Clairon était réglée à 1,000 livres, conformément à un rapport où, satisfaisant enfin sa rancune, Le Kain rappela le droit strict, les grâces particulières reçues par elle, dénonça cette inconséquence de solliciter des faveurs d’une société qu’elle désertait, parce qu’elle jugeait méprisable sa profession.

Les hyperboles de Voltaire, la réception enthousiaste de Ferney, de rares représentations à Versailles, sur des théâtres de société, l’éducation dramatique de Raucourt, de Larive surtout, à qui elle