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Cordillères partageaient cette défaveur, et pour cause. C’étaient, — Et ce sont encore, — à l’est des montagnes Rocheuses, d’immenses plaines à perte de vue, larges de 600 kilomètres environ, onduleuses, battues par le vent ; non pas stériles, certes, mais dépourvues d’arbres, et uniquement revêtues d’un épais tapis de hautes herbes qui, l’été venu, se dessèchent et meurent, le plus souvent consumées par des incendies immenses. Que tenter dans ces prairies, où l’eau manque : à quoi bon y perdre son temps et son travail ? Pas de rivières ; pas de pluie ; où prendre de quoi arroser ses cultures ? Dans certaines régions de l’Ouest, sans doute, on était parvenu, à coups de millions, à créer des canaux et des écluses, et à entraîner hors de leur lit des rivières paisibles qu’on avait employées à étancher la soif d’une terre brûlée : on était parvenu à cultiver des milliers d’hectares jusque-là stériles ; et dans le Nouveau-Mexique en particulier, dans la vallée du Pecos, on obtenait, sans trop de peine, quatre récoltes de légumes par an, que l’on vendait aux habitans de l’Est ; mais encore avait-on eu des rivières et des cours d’eau importans à sa disposition, au lieu que dans les plaines dont il s’agit il n’y a pas la moindre rivière.

Quelques optimistes tentèrent pourtant de relever le courage des immigrans. Installez-vous toujours, disaient-ils, travaillez le sol, retournez-le, et vous aurez de l’eau, la pluie viendra[1]. Avec une foi aveugle, les immigrans s’installèrent ; ils arrosèrent le sol de leurs sueurs, mais il ne poussa pas un radis. Paternel, toujours, le gouvernement leur annonçait que les pluies viendraient ; mais, pas plus que sœur Anne, ils ne virent venir quoi que ce soit ; l’herbe verdoyait aussi peu que par le passé, tandis que la plaine poudroyait à l’infini. Ils interrogèrent alors les météorologistes, et sans colère d’ailleurs, tinrent à ces hommes paisibles à peu près ce langage : Vous qui fréquentez les pluviomètres, les baromètres et autres instrumens destinés à vous renseigner sur les faits et gestes de l’atmosphère, qu’avez-vous à nous dire ? Pleut-il réellement plus depuis que nous retournons notre sol ? À la vérité, nous ne nous en sommes pas aperçus, mais peut-être existe-t-il quelque changement d’où nous pourrions tirer bon augure pour l’avenir ? Les météorologistes complilsèrent leurs registres, — ceux-ci étaient fort bien tenus, — et comme, à Fort-Leavenworth en particulier, les observations avaient été notées depuis plus d’un demi-siècle, on. y trouva des données d’une réelle

  1. Les cultures appellent bien les pluies dans une certaine mesure ; mais il faut des cultures très étendues et denses, des forêts, par exemple, qui forment de véritables réservoirs d’eau, selon un mécanisme qui a été bien mis en lumière ici même par M. J. Clavé (du Reboisement. et du régime, des eaux en France ; Revue du 1er  ‘février 1850).