à faire ce qu’ils ont fait ? qu’ils se dressent là, sur nos places publiques, en objet d’émulation à ceux qui viendront après eux ? Et qui refusera d’en convenir, à moins qu’ayant vécu je ne sais dans quelle indifférence ou dans quel éloignement orgueilleux de ses semblables, il ignore le pouvoir de l’opinion, la contagion de l’exemple, et l’autorité de l’éducation ?
Baudelaire est-il de ceux que l’on puisse proposer en exemple ? Je ne parle ici, comme on l’entend bien, ni de l’homme, ni de sa vie privée, — que je ne connais point, que je ne veux pas connaître, — mais uniquement du poète et de son œuvre. Je n’examine même pas, je l’ai dit, s’il fut toujours ou habituellement sincère, et, dans ses plaintes ou dans ses blasphèmes, s’il ne s’est pas glissé parfois, avec beaucoup de rhétorique, une intention de mystifier son monde. Mystifier le monde, il se peut qu’après tout ce soit une façon d’être sincère, si c’en est une de lui témoigner son mépris ; et d’ailleurs le poète ou l’écrivain sont toujours assez sincères pour nous, dès qu’ils ont réussi à nous faire éprouver les sentimens qu’ils expriment. On pourrait ajouter qu’en matière d’art ou de littérature, il est bien peu de mystificateurs qui ne finissent par être leur propre dupe. — Et d’autres encore, s’ils le veulent, reprocheront à l’auteur des Fleurs du mal ce qu’ils appellent, non sans quelque raison, son immoralité. Mais nous, nous lui reprochons quelque chose d’autre, et en un certain sens, de plus grave, et c’est d’avoir volontairement corrompu la notion même de l’art.
S’il a, en effet, « ajouté quelques forces » à la poésie, nous lui devons aussi quelques tours de main, si je puis ainsi dire, dont le moins fâcheux n’est pas celui qui consiste à salir ou à souiller presque tout ce que l’on touche. Une Charogne en est un éloquent exemple :
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivans haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant.
On eût dit que le corps enflé d’un souffle vague
Vivait en se multipliant.
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Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion.
Rien n’est plus simple, on le voit, ni ne s’imite à moins de frais. On prend le thème le plus banal, et, — pour rien, pour le plaisir, pour l’honneur, sans aucune intention de morale ni de satire, — on le « renouvelle » en le développant au moyen de métaphores ou de com-