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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/345

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nature, pas un mot qui pût remuer un sentiment dans l’âme populaire. Combien différent du manifeste de M. Gladstone, de cette péroraison vibrante et mélancolique tout ensemble, où le vieil homme d’État, rappelant ses nombreuses années, sa vie déjà si pleine d’œuvres et de jours, sollicitait « pour la dernière fois » la confiance du peuple anglais ! Un frisson avait couru : au-dessus de la furieuse bataille, au-dessus des fronts en sueur avait passé, comme un souffle, la majesté de l’adieu, le religieux apaisement des beaux soirs.

On le priait, on le sommait de faire connaître son Home-rule bill afin de pouvoir le critiquer, le disséquer, le mettre en pièces, en faire une pierre de scandale entre les radicaux d’Angleterre et les nationalistes d’Irlande. On n’obtint rien de M. Gladstone, sinon la promesse de garantir la suprématie du parlement impérial. Quant au mécanisme de la future constitution, l’heure n’était pas encore Tenue de le discuter.

Les lieutenans de M. Gladstone, Harcourt, Morley, Trevelyan, n’étaient pas inactifs. Ses ennemis se prodiguaient : Balfour à Leeds et à Manchester, Chamberlain partout. M. Goschen suivait Gladstone comme le requin suit un navire, au point de parler le lendemain dans la même salle et du haut de la même plate-forme où s’était montré, la veille, le grand leader libéral. Si un mot hasardé, une assertion historique contestable, un argument légèrement entaché de sophistique, avait échappé à l’illustre vétéran, M. Goschen le ramassait, le retournait malignement et curieusement. Allemand d’origine, M. Goschen est entré à merveille dans l’esprit de ce conservatisme bourgeois qui florissait il y a trente ans et qui est plus réactionnaire peut-être que l’esprit des vieilles aristocraties. Entre autres talens, il est maître passé dans l’art de taquiner et d’éplucher. Il donnait donc au public, presque tous les soirs, une petite parade qu’on aurait pu intituler, en souvenir d’une farce célèbre : Gladstone ennuyé par Goschen.

Cependant, on votait. Le vendredi ler juillet, lord Randolph Churchill, nommé sans opposition député de Paddington, composait à lui seul tout le parlement de Victoria. Le 26, l’ultima Thule, dans la personne des pauvres crofters d’Orkney et des Shetland, élisait son représentant qui complétait le nombre des 670 membres du parlement. Au début, on avait vu fondre la majorité de lord Salisbury, puis naître la majorité gladstonienne. Mais l’une avait fondu très lentement et l’autre très péniblement grossi. Il y avait eu des jours d’enthousiasme, des jours de découragement, de sécheresse, d’inquiétude. Chaque soir, la foule s’amassait, anxieuse, dans Fleet-Street, où les grands journaux du matin ont leur quartier-général, devant le National libéral Club, où les gains du jour, en lettres