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sur les vieux whigs qui suivaient le marquis de Harlington, passé aujourd’hui à la chambre des lords, sous le nom de duc de Devonshire. Les quarante-huit libéraux-unionistes restans forment un groupe très compact sous l’autorité de M. Chamberlain, que l’on disait fini et qui vient, au contraire, de prouver sa popularité d’une façon éclatante. Il rentre au parlement, lui et ses amis, porté par d’énormes majorités. Une zone géographique s’est créée, dont Birmingham est la capitale et dont Chamberlain est le roi. C’est à proprement parler la terre de Chamberlain, Chamberlain land, et cette zone tend à déborder ses frontières, à envahir toute la carte. Comment M. Chamberlain a-t-il pu grandir ainsi dans cette situation fausse et périlleuse où tout autre se serait éclipsé ? À quoi doit-il ce merveilleux ascendant ? À ce génie d’organisation et de gouvernement qu’il applique à son parti en attendant qu’il l’applique à l’État ; à cette parole plus libre, plus colorée, plus souple que jamais, à ce je ne sais quoi de vif et d’heureux répandu dans l’air autour de lui, à cette touche de modernité qui le préserve, sans qu’il s’y efforce, de l’ignominie du « vieux jeu ; » enfin à ce mélange de finesse et de puissance qui fait de lui une sorte de Thiers-Gambetta, la plus étonnante expression de la démocratie en ces dernières années du XIXe siècle.

En regard du triomphe personnel de M. Chamberlain, il faut placer l’échec relatif de M. Gladstone dans le Midlothian et de M. Morley à Newcastle. Cette éclipse partielle est due à des causes locales. M. Gladstone s’est prononcé contre la kirk (église presbytérienne) d’Ecosse, et cette Église, comme on devait s’y attendre, l’a ardemment combattu. Pour M. Morley, il repousse le bill des huit heures et il n’a point caché cette opinion, car il n’est pas homme à échanger des votes contre des principes. Ses adversaires l’appellent, avec une ironie bien maladroite, honest John, John le franc. Voilà une bien belle injure à recevoir pour un homme d’État ! Elle eût suffi à consoler M. John Morley de sa majorité diminuée ; mais on le verra tout à l’heure prendre une magnifique revanche.

Analysons maintenant la majorité de M. Gladstone. Elle se compose de 355 membres. Le premier fait qui frappe, c’est que cette majorité n’est pas proprement ni foncièrement anglaise : cause de faiblesse, car l’Angleterre a la prétention d’être l’élément dirigeant, le métal précieux dans l’alliage des trois royaumes. L’Ecosse appartient à Gladstone pour les trois quarts ; le pays de Galles lui donne 31 voix sur 34, l’Irlande 80 sur 103. Ces voix irlandaises se décomposent en deux groupes fort inégaux. Neuf amis de Parnell prétendent, sous M. Redmond, continuer la politique indépendante du défunt leader. Les nationalistes, au nombre de 71, ont pour