« Quelle noble imprudence de cœur, à rester la seule femme de France compromise par son nom et qui n’eût jamais voulu en changer ! Chacune de ses pétitions ou déclarations commençait toujours par ces mots : La femme La Fayette., Jamais cette femme si indulgente pour les haines de partis n’a laissé passer, lorsqu’elle était sous l’échafaud, une réflexion contre moi sans la repousser, jamais une occasion de manifester mes principes sans s’en honorer et dire qu’elle les tenait de moi…
« Ma lettre ne finirait pas, mon cher ami, si je me laissais aller aux sentimens qui la dictent. Je répéterai encore que cette femme angélique a été environnée de tendresse et de regrets dignes d’elle…
« Je vous embrasse en son nom, au mien, au nom de ce que vous avez été pour moi, depuis que nous nous connaissons.
« Adieu, mon cher ami. »
Il est difficile de ne pas être ému en lisant ces lignes mouillées de larmes ; y ajouter serait un manque de goût.
La Fayette perdait plus qu’une compagne ! Il perdait aussi sa conscience. Sa vie publique peut être divisée en deux parties, avant et après 1807. Ces deux parties ne se ressemblent pas. Nous aurons plus d’une occasion de le faire remarquer. Pendant les premières années qui suivirent ce deuil irréparable, il vécut avec ses souvenirs et sa douleur. C’est à peine s’il reprend sa correspondance avec Jefferson, ne se désintéressant jamais des affaires d’Amérique.
C’était beaucoup de se tenir debout au milieu des prosternations du dedans et du dehors. Son isolement volontaire était, pour l’empereur, le plus grand signe de désapprobation. Il fallut les malheurs de la patrie et la première invasion pour faire sortir La Fayette de la solitude.
Ces longues années silencieuses, remplies par la vie de famille, par le charme que répandait la femme de George, furent seulement troublées par les visites de Destutt de Tracy, dont l’influence a été, comme celle de Cabanis, considérable et féconde dans le champ de la spéculation. Les travaux agricoles occupaient La Fayette tout le jour. On causait et on lisait le soir. Il avait beaucoup désiré devenir possesseur de Lagrange. Lorsqu’il y fut convenablement installé, il se livra avec ardeur à l’agriculture et rétablit ainsi sa santé délabrée par les souffrances de sa captivité et par les ennuis de sa carrière politique[1].
- ↑ Souvenirs sur la vie privée de La Fayette, par Jules Cloquet.