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Après la mort de sa femme, il avait fait murer la porte de communication, et l’appartement tel qu’il était à cette époque était resté clos. Seulement, à certains jours consacrés, il y pénétrait seul, ou avec ses enfans, par une porte dérobée, afin de rendre hommage à une mémoire qui resta toujours sacrée.

Pendant les heures de réflexion et de repliement sur lui-même, où ses vertus privées, sa bonté morale, l’excellence de son cœur pour tout ce qui l’approchait, se développaient sans contrainte, loin des yeux du public, il restait de plus en plus attaché à ses doctrines libérales.

Pendant un court séjour à Chavaniac, où sa tante octogénaire, désespérée de ne plus le revoir, l’avait appelé, il écrivait à Masclet : « Maintenant je vois une nouvelle organisation sociale, dont il est inutile dans cette lettre de discuter le mérite eu égard à la liberté publique, d’autant plus que mes principes vous sont déjà connus ; et puisque les psaumes sont devenus à la mode, j’ai le droit de m’appliquer le Sicut erat in principio et nunc et semper[1]. »

Le 20 février 1810, dans une lettre à Jefferson, nous lisons : « Le récit des actes de ce pouvoir impérial, singulier mélange de grandeur empruntée à la révolution et d’abaissement contre-révolutionnaire, vous apprendra nos triomphes sur nos ennemis étrangers, le récent agrandissement de notre territoire, ainsi que de nouvelles mesures contre les libertés publiques. » — Il ne désespérait pas de l’avenir : « Quelles qu’aient été, ajoutait-il le 4 juillet 1812, la violation, la corruption et en dernier lieu la proscription avouée des idées libérales, je suis convaincu qu’elles se sont conservées plus qu’on ne le croit généralement, et qu’elles ranimeront encore l’ancien comme le Nouveau-Monde. » — Et il fêtait dans sa famille l’anniversaire de la proclamation de l’indépendance américaine.

Il n’y avait que Mme de Staël et La Fayette pour conserver ainsi le feu sacré. L’empereur le savait bien. Il avait cru, au mois de juillet 1808[2], pouvoir envelopper le solitaire de Lagrange dans une accusation capitale. Fouché avait détourné le coup. Mais La Fayette avait dû surtout son salut à l’imperturbable fermeté de M. Jacquemont, membre du conseil supérieur de l’instruction publique, qui fut puni de son amitié aussi éclairée que généreuse, par un long emprisonnement et la perte de son emploi. L’isolement de La Fayette était un signe permanent de désapprobation. « Votre existence, lui disait Bernadotte, en partant pour la Suède,

  1. Voir Correspondance t. V, p. 285-287.
  2. Voir Pièces et Souvenirs, 1814-1815.