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est vraiment miraculeuse ; votre péril est moins encore dans le caractère de l’empereur que dans l’acharnement des gens de l’ancien régime à l’irriter contre vous. »

Napoléon connaissait bien son caractère inflexible. En 1812, à propos d’une discussion au conseil d’État, sur le rétablissement de la garde nationale, il disait : « Tout le monde en France est corrigé ; un seul ne l’est pas, c’est La Fayette. Il n’a jamais reculé d’une ligne. Vous le voyez tranquille ; eh bien ! je vous dis, moi, qu’il est tout prêt à recommencer. »

Sa retraite n’était donc pas sans danger, lorsque les calamités accumulées par les fautes de Napoléon vinrent à fondre sur la France. Les armées étrangères avaient passé la frontière. La Fayette avait été appelé à Paris par la mort de ses deux plus chers parens, M. de Tessé, et surtout Mme de Tessé, cette maternelle amie de quarante ans. La même maladie les avait emportés à quelques jours d’intervalle. Au milieu du désarroi du gouvernement, La Fayette s’offrit pour commander la garde nationale. Il convint avec M. Ternaux, chef de la 3e légion, que si un bataillon voulait résolument marcher contre l’ennemi, il se mettrait à la tête. Il tenta une démarche auprès de l’un des principaux maréchaux pour l’amener à arracher l’abdication de l’empereur ; toutes ces tentatives turent inutiles, La Fayette fut trouvé téméraire. Le lendemain, pendant que les ennemis entraient dans Paris, il s’enferma dans son appartement et fondit en larmes.

Ses relations de jeunesse avec le comte de Provence et le comte d’Artois ses contemporains, ses liaisons de parenté avec des personnes appartenant au pur royalisme, tout l’avertissait que cette première restauration ne serait qu’une contre-révolution plus ou moins lente ou déguisée. Il se serait fait scrupule d’appeler les Bourbons[1]. Et néanmoins telle est la force des premières impressions, que la vue du comte d’Artois dans la rue l’émut vivement : « Pardonnant leurs torts, même ceux envers la patrie, je souhaitai de tout mon cœur que la liberté pût s’amalgamer avec le règne des frères et de la fille de Louis XVI. »

Il adressa alors à Monsieur ces quelques lignes :

« Monseigneur, il n’y a point d’époque et de sentiment dans ma vie, qui ne concourent à me rendre heureux de voir votre retour devenir un signal et un gage du bonheur et de la liberté publique. Profondément uni à cette satisfaction nationale, j’ai besoin d’offrir à Monsieur l’hommage de mon attachement personnel, et du respect avec lequel je suis, etc. »

Le comte d’Artois, ne sachant trop que répondre, s’en tira par

  1. Pièces et Souvenirs, 1814-1815.