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Cette spirituelle personne habite, près de Boston, une maison de campagne, construite par feu Richardson, l’architecte américain par excellence, chef d’une école éminemment nationale dont les spécimens se multiplient depuis quelques années. Voici le mélange ingénieux de styles divers qui représente la demeure de Mrs Courtly : un arc byzantin abaissé sous lequel monte le perron qui tourne brusquement à droite ; ceci s’harmonise, on ne sait comment, avec la bay-window, la fenêtre en saillie et à meneaux, la tourelle d’angle à pinacle aigu et la haute toiture rouge. Un balcon de pierre ressort d’une autre window, enfoncée celle-là sous un autre arc de pierre ; la porte d’entrée est en chêne avec marteau vénitien de fer forgé. Du sommet d’une pente verdoyante plantée de hêtres superbes, cette délicieuse habitation domine la mer. Il nous semble que l’architecture américaine de Richardson est proche parente de l’architecture anglaise ; M. Aïdé nous la présente cependant comme une trouvaille parfaitement appropriée à l’aspect du pays. Mrs Courtly a rassemblé, dans cette retraite, de bonnes peintures, des livres rares, mille choses anciennes et rares rapportées de ses voyages ; des touches savantes de modernité çà et là et une grâce très personnelle dans tous les détails empêchent qu’on puisse accuser l’aimable veuve d’affectation esthétique. Elle met au service de ses amis des chevaux excellens, les steppers, tant appréciés en Europe, et un de ces fameux trotteurs dont le mérite moins évident ne frappe que les initiés. Le reste est purement anglais, l’argenterie George III, les porcelaines de Chelsea, etc. On se croirait dans une vieille maison de campagne anglaise où rien n’a été changé depuis cent ans, mais où les plus charmans emprunts faits à toute la terre sont venus s’ajouter au vieux fonds d’autrefois. Là Mrs Courtly reçoit les beaux esprits et les grands artistes que lui envoient Boston ou New-Cambridge. Comme le dit Ferrars, le railleur misanthrope : « À son foyer reposent en bonne intelligence le lion et l’agneau sur le même tapis, mais elle préfère le lion. » Or sir Mordaunt, de par la célébrité politique de son père, ses manières ouvertes et son grand air, est lion, bien entendu, et traité comme tel.

L’aspect de Boston en hiver avec sa rivière sinueuse, le panorama pittoresque de la mer et des îles, les effets de neige sur ses dômes, ses tours et ses flèches, le lac gelé, où se lancent des centaines de patineurs sous le bleu dur d’un ciel sans nuages, a fourni un sujet charmant d’aquarelle au pinceau agile de M. Aïdé ; de même le retour d’un bal donné au Country-Club, retour nocturne en traîneaux, dont on croit entendre les joyeuses sonnailles, tandis que la longue procession des danseurs rentre au pas rapide des