complaire à son vieil époux, il lui avait fallu se confiner dans son « île, » où les soins de la cuisine et du ménage remplaçaient désormais le mouvement affairé, les causeries, les fréquentations habituelles du magasin de son père. Elle tomba malade. Son mari lui conseilla de « mettre toute sa confiance en Dieu. » — « Il est le grand médecin de la vie, lui disait-il encore, puisque c’est lui qui nous la donne. » Félicité le savait sans doute, mais elle eût bien aimé que son mari feignît au moins d’aider Dieu. Il n’en avait pas le temps. Il continuait de solliciter les faveurs du Directoire, comme autrefois il avait fait celles de l’ancien régime. Il demandait que la république achetât pour lui le papier nécessaire à l’impression de ses Harmonies. Il proposait d’entreprendre une tournée scientifique en France pour y vérifier « les correspondances » indiquées dans ses Études. Ou bien encore il voulait qu’on le chargeât de parcourir le pays « à la recherche des talens et des vertus précoces. » Félicité, dans sa solitude, continuait de mourir lentement. Elle s’éteignit, dans les premiers mois de l’an vin, victime peut-être de ses désillusions autant que de la phtisie, et laissant deux enfans en bas âge, une fille et un garçon. Ai-je besoin de dire que le garçon s’appelait Paul, et la fille Virginie ?
Elle n’eut pas plus tôt disparu que le séjour de son île devint insupportable à Bernardin de Saint-Pierre : « Les vergers qu’il avait plantés, cette petite rivière qui les environnait de ses eaux limpides, ces îles collatérales couvertes de grands saules et d’aunes touffus, — raconte Aimé Martin, — tout ce qu’il avait aimé autrefois faisait alors couler ses larmes en lui rappelant celle qu’il avait perdue. » Il revint donc à Paris, et à soixante-trois ans sonnés, plus avide que jamais d’hommages féminins, il fit sa principale distraction de fréquenter un pensionnat de demoiselles. « Environné de jeunes personnes, M. de Saint-Pierre se plaisait à les suivre dans leurs promenades champêtres, et quelquefois il leur dictait de petits sujets de composition qu’il revoyait avec intérêt. » L’une de ces jeunes personnes, Mlle Désirée de Pelleporc, fit une vive impression sur ce cœur toujours jeune, trop jeune peut-être même, et six mois n’étaient pas encore écoulés depuis la mort de Félicité qu’il volait à de nouvelles amours. Mlle de Pelleporc avait environ dix-huit ou dix-neuf ans.
Il y a quelque chose de pénible à voir, dans les lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre, comment il s’y prit et de quels moyens il usa pour circonvenir Mlle de Pelleporc. Ce qui n’est guère moins grave, c’est la naïve impudeur des déclarations qu’il lui adresse : « Ne voudriez-vous être que la gouvernante de mes enfans ? Cette âme qui a pénétré dans la mienne par ses sentimens ne conçoit-elle pas d’autres pénétrations plus intimes ? Êtes-vous plus sage que la nature et plus sublime que celui qui en a établi les lois ? Oh ! ma tendre Désirée, il