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philosophique, un autre dans le dévergondage d’imagination, car Duclos, le robuste satyre, l’Homme à la voix de gourdin, ne manque jamais de faire appel au sensualisme, et, dans le grand monde même, son esprit servait de passe-partout à la rudesse de ses manières, à ses propos mâles et très mâles. On sait qu’aux yeux de d’Alembert il avait plus d’esprit dans un temps donné que tous les autres, et, un jour qu’il enfilait une série d’histoires fort salées, chez Mme de Rochefort, sous prétexte que seules les honnêtes femmes savaient encore les écouter sans se récrier, elle finit par l’interrompre plaisamment : « Prenez garde, Duclos, vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes. »


Mlle QUINAULT. — Malgré son langage, la nature n’aura pas moins travaillé de longue main à cette chose qu’on appelle pudeur.

DUCLOS. — Non pas à celle qu’on appelle ainsi de nos jours… Il y a des nations de sauvages, par exemple, où les femmes restent nues jusqu’à l’âge de la puberté ; certainement elles n’en rougissent pas.

Mlle QUINAULT. — Tant qu’il vous plaira ; mais je crois que les premiers germes de la pudeur existaient dans l’homme.

SAINT-LAMBERT. — Je le crois, le temps les développa, la pureté des mœurs, l’inquiétude de la jalousie, l’intérêt du plaisir, tout y concourut.

DUCLOS. — Et l’éducation s’est fait ensuite une grande affaire de ces vertus sublimes qu’on nomme maintien.

LE PRINCE. — Mais il fut un temps, où non-seulement les sauvages, mais tous les hommes allaient tout nus.

DUCLOS. — Oui, vraiment, pêle-mêle, gras, rebondis, joufflus, innocens et gais. Buvons un coup.

Mlle QUINAULT, chantant en lui versant à boire :


Il t’en revient encore une image agréable,
Qui te plaît plus que tu ne veux.


Il est certain que ce vêtement, qui joint si bien partout, est le seul que la nature ait donné.

DUCLOS. — Maudit soit le premier qui s’avisa de mettre un autre habit sur celui-là !

Mlle QUINAULT. — Ce fut quelque petit vilain nain, bossu, maigre et contrefait, car on ne songe guère à se cacher, quand on est bien.

SAINT-LAMBERT. — Et, qu’on soit bien ou mal, on n’a pas de pudeur quand on est seul.

Mme d’ÉPINAY. — Cela est-il bien décidé, monsieur ? Il me semble cependant que j’ai de la pudeur également…

SAINT-LAMBERT. — C’est l’habitude que l’on a d’en avoir avec les autres, qui la fait retrouver quand on est seule…