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Favart survécut à sa petite fée vingt ans encore, vingt années consacrées à l’amitié, à la bienfaisance, aux muses ; ruiné par la révolution, qui lui enlève les bienfaits de la cour, ses économies, il continue de cultiver son petit jardin, conserve toute sa sérénité, demeure jusqu’à la fin un des représentans de cette forte bourgeoisie française, aux vertus solides, à l’âme délicate, capable de combiner la plus haute culture intellectuelle avec les travaux pratiques, qui formait en vérité la moelle de la nation, où les rois de France avaient maintes fois déjà rencontré de précieux auxiliaires (Saint-Simon n’appelle-t-il pas le règne de Louis XIV un long règne de vile bourgeoisie ?), où la révolution de 1789 devait trouver ses apôtres, ses chefs, ses héros et ses martyrs.


V.

Hippolyte de Latude Clairon[1] eut de bonne heure la passion de la gloire, le besoin de se draper devant ses contemporains, des goûts de galanterie extrême, suivis, il est vrai, d’un long attachement agrémenté sans doute de quelques passades. L’amour et ses diminutifs exceptés, tout en cette actrice semble contraire à ce que nous appelons le naturel, tout respire l’emphase, la pompe et la grandiloquence ; tout est convenu, apprêté : gestes, paroles, actes, écriture. L’histoire de Galilée lui est présente, elle le dit d’elle-même ; et, quand il s’agit de s’embellir, elle se montre prolixe à l’excès, initiant le public aux moindres détails, ne lui faisant pas grâce d’une virgule. La vérité théâtrale l’obsède et la possède tout entière : un orgueil démesuré, un caractère véhément, indomptable, lui prêtent leur prestige, mais achèvent d’obscurcir le sens de la réalité ; ajoutez-y le jargon philosophique à la mode, les mots d’honneur, de dignité, invoqués à tout propos, les complimens en vers et en prose de Voltaire, les médaillons, les dessins de Cochin, les portraits de Lemoyne, Vanloo, à la gloire de la reine de Carthage, toutes choses peu propres à inspirer la modestie, et l’on s’étonnera moins si elle monta toute sa vie sur des échasses,

  1. Née en 1723, morte en 1803. — De Goncourt, Mlle Clairon, 1890, in-18 ; Lettre sur les arts imitateurs, par Noverre ; Histoire de Mlle Cronel, dite Frétillon, actrice de la comédie de Rouen, écrite par elle-même ; Adolphe Jullien, Histoire du costume au théâtre ; Mémoires de la margrave d’Anspach ; Dorat, Poème de la déclamation, Lemontey, t. III ; Mémoires de Favart, Marmontel, Bachaumont, de la baronne d’Oberkirch ; Correspondance de La Harpe ; Collé, Journal historique ; Barrière, Mémoires des comédiens ; Mémoires de M. F. Dumesnil en réponse aux mémoires d’Hippolyte Clairon, par Dussault ; Lemazurier, t. II ; Hérault de Séchelles, Voyage à Montbar ; Traité de la poésie dramatique, par Diderot ; d’Alembert, Discours sur la liberté de la musique ; Crébillon, Lettres sur les spectacles ; d’Hannetaire, Observations sur l’art du comédien.