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le terrain des échanges, avec un peuple ami, client fidèle et précieux d’un grand nombre de nos industries. Autour de nous l’Europe organise une sorte de fédération commerciale ; des puissances rivales descendent le courant naturel que nous nous efforçons péniblement de remonter. Qu’il soit un peu tôt pour défaire ce qui a été fait en janvier 1892, c’est possible, s’il s’agit seulement d’expérimenter, mais non plus si les inconvéniens éclatent avec une telle évidence que ceux mêmes qu’avait séduits l’illusion protectionniste commencent à s’apercevoir qu’ils se sont trompés.

Nous ne citerons pas l’exemple de la chambre de commerce de Paris émettant le vœu que le gouvernement et la législature reviennent le plus tôt possible à la politique des traités de commerce. L’industrie et le négoce à Paris ont des tendances libérales ; on peut croire leurs représentans intéressés à médire du régime que M. Méline et son école ont fait triompher. Mais on ne récusera pas le témoignage des représentans de l’industrie lainière de la région de Fourmies, écrivant au ministre du commerce que l’absence de traités avec différentes nations de l’Europe a provoqué une diminution de travail d’un sixième dans la généralité des établissemens de la région. Ils avouent eux-mêmes qu’ils s’étaient prononcés pour la dénonciation des traités de commerce et leur remplacement par des conventions à tout instant révocables ; mais leurs yeux se sont dessillés lorsqu’ils ont constaté la réduction de leurs ventes ; ils adjurent donc le ministère et les chambres de conclure de nouveaux traités et d’abandonner le tarif minimum actuellement en vigueur.

Ce sont des convertis qui parlent, il ne leur a fallu que quelques mois pour éprouver le vide, le factice des promesses du protectionisme. Sans doute, les industries qui ont réclamé la protection n’en sont pas toutes encore à renier leur attitude si récente ; quelques-unes ont très vigoureusement prospéré sous les conditions nouvelles, d’autres espèrent que la prospérité les tiendra visiter à leur tour, la plupart ne sauraient encore se prononcer ; mais les symptômes d’un revirement sont manifestes, et la commission des douanes elle-même s’en est bien rendu compte lorsque, saisie des propositions ministérielles concernant le tarif minimum et la Suisse, elle n’a pas osé en décider le rejet en bloc, les repousser sans phrases.


I.

Si déjà on commence à regretter d’avoir laissé le champ libre aux promoteurs de la campagne protectionniste qui a doté la France du tarif actuel, est-ce donc que cette campagne avait été entreprise