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sans raison sérieuse, que rien ne la justifiait ou tout au moins ne l’expliquait ? que le succès des protectionnistes a été une surprise, le résultat d’un moment d’abandon, d’une indifférence fortuite des intérêts que la solution du problème douanier devait affecter cependant d’une manière directe ? Rien de semblable. C’est bien à une sorte d’entraînement général que la majorité du parlement a cédé en donnant en quelque sorte carte blanche à M. Méline et à ses collaborateurs pour l’établissement des tarifs.

Nous n’avons pas à rappeler dans quelles circonstances Napoléon III, avec le concours de Michel Chevalier et de Cobden, substitua en 1860 un régime douanier relativement libéral « fondé sur des accords précis et durables avec l’étranger, » au système protectionniste qui, avec des degrés divers d’intensité, avait prévalu depuis la restauration. On estime généralement que ces traités ont donné un grand essor et un développement remarquable à l’industrie et au commerce de la France. Les protectionnistes cependant le contestent, ils vont même jusqu’à prétendre que la prospérité de notre commerce extérieur a été compromise par les innovations de 1860. Que si on leur répond par la démonstration, avec chiffres et statistique à l’appui, de la grande expansion prise par ce commerce entre 1860 et 1870, ils ne restent point à court d’argumens : c’est aux chemins de fer, aux progrès de la science, à la vapeur et à l’électricité, à la diffusion des richesses, aux prodiges du crédit, que tout ce développement est dû, et ils assurent qu’il eût été bien plus rapide et plus étonnant encore, si l’erreur libre-échangiste n’était venue l’entraver.

C’est après la guerre qu’ils ont commencé de tenir ce langage, reconquérant peu à peu l’influence qu’ils avaient perdue dans les dix dernières années de l’empire. En 1878, ils ressuscitèrent l’association pour la protection du travail, sous le nom d’association de l’industrie française ; le vote du tarif de 1881 fut un compromis entre le tarif conventionnel existant et les exigences des protectionnistes.

Il sembla que, dans les années suivantes, les circonstances fussent ordonnées de façon à causer le plus grand tort aux idées libérales en matière d’échanges internationaux. La France a subi à la fois des insuffisances de récoltes de céréales et les ravages du phylloxéra, entraînant la baisse des fermages et les grandes importations de blés et de vins étrangers. Ces malheurs jetèrent dans le camp protectionniste les agriculteurs restés jusqu’alors fidèles aux libres-échangistes. Dès que le midi et le nord se mettaient d’accord pour réclamer la protection, que pouvait faire l’école économique libérale, sinon se préparer à une défaite complète et prochaine ?