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L’attaque contre le régime de 1860, déjà bien ébranlé par le tarif de 1881, commença par le relèvement des droits sur les céréales et sur diverses denrées alimentaires (1885). Pour l’industrie, il fallait patienter, car la France était liée par des traités de commerce signés en 1882 avec un certain nombre de pays étrangers et qui ne devaient expirer que le 1er février 1892. On sait avec quelle impatience cette échéance fut attendue, avec quelle vivacité un parti de plus en plus agressif, dans le parlement, enjoignit au pouvoir exécutif de dénoncer en temps voulu tous ces traités de commerce à durée déterminée.

Rechercher si cette politique de table rase ne pouvait avoir quelque conséquence fâcheuse pour le pays, paraissait oiseux, même antipatriotique. Vainement des voix timides insinuèrent que des traités, voire de commerce, sont des instrumens de civilisation, des gages de paix et de concorde entre nations, qu’ayant pour objet de faire disparaître ou d’atténuer les droits excessifs et les mesures vexatoires, ils tendent à multiplier les échanges en les facilitant et par conséquent à accroître la production, on n’écoutait point ces pontifes de la liberté commerciale ; leurs fameux principes étaient raillés comme les radotages d’une école surannée. On voulait protéger le travail national, rendre la vie à l’industrie anémiée, relever l’agriculture abattue, surtout redevenir libre !

L’échéance approchant, l’armée du protectionnisme s’élança à l’assaut du tarif conventionnel, arborant le drapeau des tarifs autonomes. On proclamait la nécessité de dégager la France des liens où ses gouvernemens l’avaient imprudemment enserrée. C’était une croisade pour la reprise de l’indépendance économique, aliénée sous l’empire, et que vingt années de république n’avaient pu encore faire reconquérir.

Le gouvernement suivit les assaillans, il est vrai sans enthousiasme. Il eût volontiers plaidé la cause des traités de commerce, contre lesquels il ne ressentait aucune prévention ; mais le vent était à la réaction économique, et l’on ne plaisante pas avec les exigences électorales. Le cabinet présenta donc, en octobre 1890, un projet de tarif général, où les droits d’entrée étaient très sensiblement relevés et qui était bien un tarif de protection, si insuffisant que les chambres l’aient trouvé. Le ministre du commerce donnait d’assez bonnes raisons pour justifier la politique nouvelle ; il invoquait les désastres produits par les fléaux naturels et ajoutait que la France ne faisait que suivre l’exemple donné par de grands pays étrangers qui ne craignaient point de fermer leurs frontières, les États-Unis et l’Allemagne, sans compter l’Italie qui avait spontanément brisé les rapports commerciaux entre les deux versans des Alpes.