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lance à Dizio un regard moqueur. Il ferme les yeux pour ne plus voir l’ombre, ou, mieux dit, la réalité de son rêve.

Chargée d’un plat de terre plein jusqu’aux bords d’une sauce écarlate, couleur due à l’abondance des pimens qui ont servi à la préparer, et dans laquelle nagent les membres déchiquetés d’une dinde sauvage, la matrone reparaît et pose près de nous ce mets national des grands jours. Elle fait un second voyage et apporte des épis de maïs frais et bouillis, dont les grains, encore laiteux, vont nous tenir lieu de pain. Seulement, cette fois, marche derrière elle une jeune fille de dix-sept à dix-huit ans, la tête surmontée d’une énorme gourde pleine d’eau, tenue là en équilibre. Elle appuie sur sa hanche et maintient de sa main gauche une corbeille pleine de fruits tropicaux : bananes, mangues, sapotilles et sapotés. Grande, svelte, gracieuse, vêtue du même pittoresque costume que son aïeule, la belle enfant nous a rapidement enveloppés d’un regard curieux, puis s’avance les yeux baissés, ce qui me permet d’admirer la longueur démesurée de ses cils recourbés. Une légère rougeur teinte sa peau dorée, je la sens troublée, gênée sans gaucherie, tant les mouvemens de son corps souple sont naturels, aisés. Elle approche de son père, met un genou en terre, et le vieillard la délivre de son fardeau. Elle se relève, nous regarde souriante, puis retourne vers la cabane d’un pas lent, moelleux, cadencé. O la charmante, la délicieuse apparition que celle-là ! Je regarde de nouveau Dizio, son visage est épanoui, il y a du feu dans le regard triomphant qu’il me lance. Nous n’échangeons pas un mot, mais nous sommes du même avis sur la beauté de Nitla, dont nous entendons prononcer le nom.

Le repas est terminé ; nous avons prosaïquement mangé à la gamelle, sans autres ustensiles que nos doigts, et quelques crêpes de maïs. La bruine est moins abondante, et, sur ma demande, Mécatl veut bien nous conduire à la source, au ravin dont il m’a parlé. Nous passons derrière la cabane ; là, au pied d’une croix dont les bras sont une branche liée à un poteau à l’aide de lianes, je remarque une couche au fond tapissé de feuilles de maïs. C’est le lit, la chambre à coucher de notre hôte, qui se découvre, se signe, s’incline en passant devant la croix. Au fait, il a d’un ascète, notre hôte, la maigreur, les traits sévères, la gravité, le regard à la fois vague, inquiet, fiévreux. Je ne l’ai pas encore vu sourire et, s’il répond à toutes mes questions, il semble ne parler qu’avec effort, comme à regret. En ce moment résonne au-dessus de nos têtes un : « Seigneur, ayez pitié de moi ! » si plaintif, si douloureux, en dépit de la voix nasillarde qui l’a prononcé et le répète, que nous avons tressailli.

La cause de notre émoi est un perroquet qui, fier sans doute de