Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a duré que quelques secondes, ce grondement ; mais les colombes ont fui, les papillons ont disparu. Dizio est déjà de retour sur la plate-forme, et, lion qui vient de prouver sa force, il s’étend humble, dompté, haletant, aux pieds de Nitla.

Haletante, elle aussi, par suite de sa respiration contenue, des émotions, des sensations inconnues qui la troublent, Nitla, néanmoins, sourit. Elle soulève son urne, la pose sur sa tête, fait un geste impérieux. Dizio s’écarte, elle passe. Elle passe, les yeux baissés, sous l’ardent regard qui l’enveloppe, la caresse, la brûle. Le faîte du sentier atteint, elle se tourne, envoie un baiser au ciel, un autre vers Dizio, puis disparaît. Le jeune homme retourne près du bassin, s’assied, se couvre le visage de ses mains comme un enfant qui pleure, et il pleure, en effet.

cette scène de jeunesse, d’amour, d’aveu, de premier réveil de deux âmes dans ce cadre sauvage, en face de cette nature harmonieuse, luxuriante et féconde, comme elle m’a ému ! force de la femme et faiblesse de l’homme éternel vainqueur, le fait est certain, mais, aussi, éternel vaincu.


IV.

Tandis que Dizio rêve sur la plate-forme, je rêve de mon côté. Le ciel pâlit, la nuit s’annonce. Des rumeurs s’entendent dans la forêt, et aussi dans les profondeurs du ravin, lequel s’emplit d’ombre. Au-dessus de la béante coupure, passent des oiseaux qui, attardés, pressés, regagnent à tire-d’ailes leurs mystérieux asiles de nuit. Rapaces, passereaux, ramiers, flamans roses, aras, se croisent au-dessus de ma tête sans montre d’hostilité. Quelques cris, pourtant ; de vaines menaces et de vaines terreurs ; toutefois il n’est plus l’heure des agressions scélérates, des fuites éperdues, ceci dit seulement pour les oiseaux de haut vol ; car de la nuit du ravin surgissent des effraies, des chauves-souris, des hiboux. La guerre, l’éternelle guerre des affamés va se poursuivre avec de nouveaux lutteurs et de nouvelles victimes, j’y songe au moment où l’oiseau familier de Mécatl me crie en passant, comme s’il partageait mon avis, sa douloureuse exclamation.

Dois-je l’avouer ? cette phrase que j’entends répéter depuis quinze jours à l’improviste, même loin de la cabane, car l’oiseau qui la redit vit en liberté et nous suit volontiers, me rend toujours soucieux. Elle impressionne aussi Désidério et Dizio, qui, chaque fois qu’ils l’entendent, se hâtent de marmotter un ave Maria, c’est que Mécatl, d’ordinaire silencieux, que nul de nous n’a encore vu sourire et qui inspire à mes guides un respect superstitieux, la murmure souvent, cette invocation.