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— D’emmener Nitla dans mon village, de me marier avec elle, de vivre heureux.

— Crois-tu qu’elle abandonnera ainsi les siens ? Penses-tu que son père, que sa grand’mère consentiront à se séparer d’elle ?

— s’ils n’y consentent pas, s’ils ne veulent pas venir dans mon village, j’y conduirai Nitla. Mon curé nous mariera et je la ramènerai ici, ne pouvant plus vivre que là où elle vit.

— Ton père connaît-il ce beau projet ?

— Non, pas encore. Mais il est bon, il trouve Nitla « bien élevée, » et, si vous voulez prendre la peine de lui expliquer qu’elle et moi nous nous aimons, il fera ce que vous voudrez.

— Tu exagères mon pouvoir.

Dizio ne répond que par un signe négatif.

Nous causons longuement et, à dessein, je multiplie les objections. Parfois le jeune Indien baisse la tête, paraît consterné. En somme, il a vite fait de reprendre espoir et m’oppose invariablement cette raison suprême :

— J’aime Nitla !

— Ce n’est pas seulement ton père qu’il faut gagner et convaincre, lui ai-je dit en terminant mon dernier discours ; c’est le père de Nitla et doña Maria.

— Vous pouvez le faire, me répond-il, car, eux aussi, ils vous écoutent.

— Nous allons partir demain ou après ; dans huit jours, tu auras oublié ton rêve.

Dizio secoue la tête.

— S’il faut partir sans Nitla, je reste, dit-il résolu.

Il était tard lorsque j’envoyai Dizio se reposer. Je n’avais rien gagné sur lui ; en revanche, il m’avait ébranlé, voire presque conquis à sa cause plus par sa résignation et sa confiance que par ses raisonnemens, lesquels consistaient à répéter :

— J’aime Nitla et elle m’aime ; je serai sien et elle sera mienne ou nous mourrons ; vous pouvez le dire à son père et au mien, nous mourrons.

Le lendemain, réveillé un peu avant l’aube, je vis Désidério assis devant le foyer qu’il avait ranimé. Tourné de mon côté, l’Indien semblait épier mon réveil. Je me levai et je pris place près de lui. De même que le soir il se tenait immobile, absorbé.

— Tu as un souci ? Lui dis-je.

— Oui, celui de partir, de retourner dans mon village. Voulez-vous m’accorder cette grâce, señor, de vous mettre en route ce soir ?

— D’où vient ta hâte ?

— Dizio aime Nitla.