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les mœurs, Henri IV règne, et la société française, après tant d’agitations, semble avoir enfin atteint cet équilibre qu’elle cherchait. La littérature, presque sous toutes ses formes, s’emploie à le consolider. Sans doute, quelques irréguliers ou, comme on les appelle encore, de nombreux « libertins, » font entendre une voix discordante. C’est Béroalde de Verville qui donne son Moyen de parvenir ; c’est Régnier ; ce sont ses amis qui remplissent le Cabinet satyrique de leurs épigrammes ordurières. Mais là-bas, au fond de sa province, dans sa maison du Pradel, Ollivier de Serres écrit son Théâtre d’agriculture, et le mélancolique Honoré d’Urfé, marquis de Verromé, comte de Châteauneuf et baron de Châteaumorand, sur les bords du Lignon, dans son château de la Bâtie, compose lentement son Astrée. L’un et l’autre livre sont dédiés au prince, dont ils servent les intentions. Mais lui-même, dit-on, n’a-t-il pas exprimé le désir que, pour sanctionner son œuvre pacificatrice, une voix autorisée réconciliât la religion même avec le monde ? Pour répondre à ce vœu, l’évêque de Genève, François de Sales, écrit son Introduction à la vie dévote où la pratique même des vertus chrétiennes n’a rien que de civil, que de « traitable, » que de riant. Cependant, à deux pas du Louvre, dans sa belle chambre tendue de bleu, celle que l’on appellera bientôt l’incomparable Arthénice s’efforce doucement à régler par les mêmes leçons la conversation et les mœurs. Les poètes aussi se convertissent. Après avoir chanté les mignons d’Henri HI, Desportes, renonçant même à chanter ses maîtresses, paraphrase ou traduit maintenant les Psaumes, Autant en fait déjà Duperron. Autant en fera bientôt Bertaut. Visiblement, au poète et à l’écrivain, on demande quelque chose de plus que le « papier-journal, » comme disait du Bellay, de leurs impressions personnelles. On leur permet encore de parler d’eux dans ses vers, mais on ne leur permet plus de n’y parler que d’eux. L’auteur même des Essais commence à déplaire, pour ce qu’il a de trop personnel, et on lui préfère son disciple Charron, pour avoir dépersonnalisé, si je puis ainsi dire, les observations du maître.

C’est à ce moment que Malherbe paraît. Il a cinquante ans, et il arrive du fond de la Provence. Un de ses compatriotes, Vauquelin des Yveteaux, en parle à Henri IV. Son nom rappelle au roi d’assez beaux vers, naguère adressés à la reine, Sur sa bienvenue en France, et où lui-même était adroitement loué. Il se souvient également qu’un jour, comme il demandait au cardinal Duperron s’il faisait encore des vers, celui-ci lui a répondu « qu’il ne fallait plus que personne s’en mêlât, après un gentilhomme de Normandie, établi en Provence, nommé Malherbe. » Voilà décidément un homme qu’il faut s’attacher. Mais auparavant, on l’essaie,