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Josef Israëls, le peintre hollandais, et Antokolsky, le plus grand sculpteur qu’ait encore eu la Russie. D’où vient ici l’infériorité relative des Juifs ? De leur loi sans doute, de ce que, pendant trois mille ans, les images peintes ou sculptées leur ont été interdites comme des idoles. C’est là, si l’on veut, un trait de race, un trait sémitique, encore semble-t-il revenir plutôt à la religion qu’à la race.

Faut-il en dire autant du goût de tant des fils de Jacob pour la musique, le plus moderne et à la fois le plus ancien des arts ? Je ne sais s’il est permis de voir là quelque chose de sémite et d’oriental, car je ne vois pas trop que les Orientaux aient montré de faculté spéciale pour la musique ; et s’il est vrai que l’Orient a ses quarts de ton, ses gammes, ses modes différens des nôtres, nos oreilles ne distinguent chez les compositeurs d’origine juive rien d’oriental ou de sémitique. Je croirais encore ici que cette prédilection de tant de Juifs pour le plus pénétrant et le plus intime de nos arts modernes tient, avant tout, à des causes historiques : à l’intimité de leur vie domestique, à leur isolement et à leur retraite forcée derrière les grilles du ghetto, à la liturgie de leur synagogue qui a toujours associé le chant à la prière, peut-être aussi à leurs souffrances qui les contraignaient à se replier sur eux-mêmes et leur rendaient plus chère la consolation des mélodies nationales. La nervosité même que nous avons remarquée chez eux les prédispose au plus vibrant de tous les arts, à celui qui a le plus de prise sur les nerfs ; c’était le seul, en tout cas, par où pût s’épancher leur sensibilité. Si les déportés de Babylonie, encore novices aux douleurs de l’exil, n’avaient pas le cœur de chanter devant leurs maîtres de Chaldée, la harpe d’Israël, tant de fois suspendue aux saules de l’étranger, ne pouvait longtemps demeurer muette. La harpe et le psaltérion ont accompagné les fils de Juda à travers toutes leurs pérégrinations, et l’hymne des cantiques de Sion a résonné au bord des fleuves des gentils.

Chez les Juifs du reste, comme chez toutes les races musiciennes, le goût de la poésie, l’amour des vers, le sens du rythme s’est joint à l’amour de la musique. David, le roi poète, est demeuré un de leurs types favoris. Le Juif de la dispersion a plié l’hébreu aux lois du vers et l’a fait chanter en des mètres inconnus du psalmiste et des cohanim du temple. Le Juif a eu sa poésie nationale au moyen âge, en Espagne ; et, depuis qu’il s’est mêlé aux peuples modernes, Ahasvérus, enfin au repos, a modulé sa complainte dans presque toutes les langues contemporaines. Des Sionides de Jehuda Halévy au Romancero de Heine, et du Champenois inconnu qui chantait en vieux français le martyre de ses frères de Troyes, aux froids versificateurs castillans des Séphardim de Hollande, et aux sonores poésies russes de Minsky et de