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Natson, on recueillerait, à travers tous les dialectes, comme des églantines de pierres multicolores, une curieuse anthologie de poésies juives. Me croira qui voudra : poètes ou prosateurs, l’on retrouve souvent, chez les écrivains d’origine israélite, un sentiment poétique, une veine de lyrisme que l’on n’attendait pas de cette race mercantile. Comment toute poésie n’a-t-elle pas été étouffée partout, chez elle, sous le prosaïsme des viles besognes auxquelles nous l’avions ravalée et sous le formalisme pédantesque de ses écoles rabbiniques ? C’est qu’au fond des ruelles du ghetto sordide, le Juif avait conservé, dans sa Bible et dans sa Haggada, deux sources de poésie auxquelles rafraîchir ses lèvres : l’une profonde, aux eaux vives et jaillissantes, pareille aux sources ombragées des pentes du Liban ; l’autre, moins pure et moins fraîche, semblable à ces fontaines des bazars d’Orient au dôme arrondi et aux capricieuses arabesques. Il y avait, chez lui, comme une poésie latente, souterraine, qui devait reparaître à la surface, là où Jacob n’a pas été trop desséché par le formalisme ritualiste, ou trop dégradé par l’oppression et les métiers avilissans.

Cette faculté poétique, souvent recouverte de vulgarité, des filles de Sion de basse naissance nous l’ont révélée aux feux de la rampe. Après la musique, l’art où les Juifs, les Juives surtout, ont eu les succès les plus bruyans, c’est l’art dramatique, comme disent les comédiens. De ces tribus si longtemps sans théâtre, de cette race sémitique réputée incapable de sortir de soi, il nous est venu des acteurs et des actrices. L’art dramatique lui a tenu lieu d’art plastique ; il a été sa statuaire. Les figures vivantes, les émotions, les passions, que le Juif a rarement su exprimer avec la palette ou le ciseau, ses fils et ses filles les ont sculptées avec les muscles de leur visage, les ont peintes avec l’accent de leur voix. Il n’y a du reste, ici, rien pour nous surprendre ; cela confirme ce que nous savions de la souplesse du Juif, de son don d’imitation, de sa faculté d’assimilation. Ses ennemis diront que, chez lui, le talent de comédien est inné ; qu’il a, de longue date, approfondi l’art de feindre et de se grimer ; que c’est là un des caractères du sémite, habile, de tout temps, à composer ses traits, à prendre tous les masques, à mentir avec toute sa personne comme avec sa langue. Je le veux bien ; mais s’il a appris à jouer des personnages divers, s’il sait à volonté changer de visage et de regard, c’est nous qui le lui avons enseigné par les métiers que nous lui imposions et par l’estime que nous faisions de lui. Le Juif était trop peu de chose, il était trop incertain du respect et de la tolérance d’autrui, pour avoir la hardiesse de se montrer tel qu’il était. Une remarque pourtant ; ce n’est point dans l’expression des passions basses ou mesquines qu’a excellé le sang d’Israël.