— Effendim, dit-il lentement, sois le bienvenu ! mais pardonne-moi si je te déclare que je ne sais aucunement de quoi il est question. Je ne connais pas le sujet de ta plainte. Je te promets d’examiner le motif de ta réclamation et de te faire rendre justice le plus tôt que je pourrai. Quant à toi, seigneur consul, pourquoi ne m’as-tu pas raconté cette affaire plus clairement ?
On s’expliqua et nous apprîmes sans étonnement que nos paquets sont encore à la douane.
— Je les enverrai chercher, dit Ibrahim. Demain, effendim, on les portera dans ta maison.
Mais il ne faut pas se fier au « demain » des Turcs. J’exigeai la solution immédiate de ces difficultés ; et, après de longues recherches, on finit par trouver, dans le nombreux personnel du konak, quelqu’un d’assez énergique pour descendre jusqu’à la douane. Mes livres et mes carnets arrivèrent. Les manuscrits me furent rendus aussitôt. Un grand nigaud d’interprète arménien, qui me dit d’un air satisfait : Moua parlar franceso, fut commis à l’examen de Strabon. Il le déclara sans danger pour la prospérité de la Sublime-Porte. J’avais perdu, dans ces contre-temps, plus de la moitié de ma journée ; mais j’avais beaucoup appris sur le mécanisme de l’administration turque.
Khora, le chef-lieu de l’île de Chio, n’est point pittoresque. Rien, dans cette ville presque entièrement neuve, n’attire l’œil et n’amuse l’attention. Depuis le tremblement de terre de 1881, on rebâtit incessamment ; et, d’ici à quelques années, les murs délabrés et les maisons éventrées qui coupent, par endroit, la ligne des façades reconstruites auront disparu. Les désastres publics, incendies, tremblemens de terre, inondations, sont indispensables en Turquie : ils nettoient. La ville a certainement gagné en propreté et en correction. Les rues sont nettes et droites. On a, malgré tout, une impression de prospérité renaissante, une sensation de vie large et facile. Mais quelle banalité ! Des minarets, passés au fait de chaux et qui ressemblent à des chandelles nouvellement sorties de chez l’épicier ; des églises aux formes lourdes et gauches, un palais et des casernes qui sont un mélange effroyable du style turc et du style jésuite. Peu d’arbres ; pas le plus petit palmier, balançant au vent son bouquet de larges feuilles. Les ruelles du bazar sont dénuées des splendeurs orientales que j’attendais. On y vend du blé, des cotonnades anglaises, apportées de Manchester, et un