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en profondeur ce qui lui manque en étendue. J’ajouterai, pour n’avoir plus à revenir sur ces détails de l’ordre intime, que toute sa vie Michel-Ange se montra excellent pour les siens et qu’il travailla avec acharnement afin d’entretenir, soit son père, soit ses frères. Aussi ceux-ci prirent-ils rapidement l’habitude de l’exploiter ; la longue correspondance qu’ils échangèrent avec lui est plus riche en demandes d’argent qu’en témoignages d’affection pour l’homme, qu’en témoignages d’admiration pour l’artiste. Leurs sollicitations devenaient parfois si pressantes, qu’un jour, — c’était en 1497, — Michel-Ange répondit à son père qu’il lui enverrait ce qu’il lui demandait, dût-il se vendre comme esclave.

Sa longue résidence à Settignano ne fût pas sans influence sur la vocation de l’enfant. On sait que ce village, de même que Majano et Fiesole, est entouré d’importantes carrières, dont l’exploitation forme la principale ressource des habitans. Au XVe siècle, grâce à la confusion des spécialités, plus d’un de ces tailleurs de pierre devint un statuaire éminent, témoin Desiderio da Settignano, l’auteur du tombeau de Marsuppini et du tabernacle des Médicis, dans l’église Saint-Laurent, jeune artiste du plus haut avenir, prématurément enlevé à l’art. Aussi Michel-Ange, qui, en vrai Florentin, avait l’humeur sarcastique, répétait-il à son futur biographe Vasari : « Si j’ai quelque chose de bon dans l’esprit, cela vient de la subtilité de l’air de votre pays d’Arezzo, et de même j’ai tiré du sein de ma nourrice les ciseaux et le maillet avec lesquels je taille mes figures. »

De fort bonne heure, la vocation de l’enfant s’accentua avec une irrésistible énergie : il ne faisait que dessiner, ce qui l’exposait aux incessans reproches et même aux mauvais traitemens des siens. Plus d’une fois, son père et ses oncles le battirent cruellement pour le faire renoncer à des études qu’ils considéraient comme indignes de leur maison. Force lui fut de suivre quelque temps les cours d’un maître de grammaire fixé à Florence, un certain François d’Urbin.

Pendant cette période de luttes avec sa famille, Michel-Ange fit la connaissance du jeune François Granacci, un peu moins âgé que lui (il était né en 1477 et mourut en 1543), qui travaillait chez le plus célèbre des peintres florentins du temps, Domenico Ghirlandajo. Granacci prêtait à son ami des modèles et parfois l’emmenait à l’atelier de son maître. Lorsque ses parens renoncèrent enfin à contrarier sa vocation, le nom de Ghirlandajo se présenta donc tout naturellement à eux comme celui de l’artiste le plus apte à diriger les études du jeune Michel-Ange. Ce choix surprendrait à juste titre, si nous ne savions que Verrocchio, le