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comme disent les Italiens. On identifie ce marbre à celui qui a été retrouvé à Pise, il y a quelques années, et qui figure aujourd’hui au musée de Berlin, œuvre passablement froide et guindée, dont tous les juges, et parmi eux M. Eugène Guillaume, n’admettent pas l’authenticité. Disons que, parmi les faces si variées sous lesquelles le précurseur se présentait à l’imagination des contemporains de Michel Ange, tantôt comme un adolescent plein de grâce (c’était là le type de prédilection de Donatello), tantôt comme un anachorète maigri par les jeûnes, tantôt comme un prophète inspiré, Michel-Ange choisit celle qui, en apparence, convenait le moins à son génie ; son saint, jeune, presque souriant, regarde avec tendresse un morceau de miel qu’il tient de la main gauche, tandis que sa droite, ramenée vers le cœur, semble proclamer l’ardeur de sa foi.

Dès lors, Michel-Ange, quoiqu’il n’eût à se plaindre ni de la fortune, ni des hommes, donnait des signes de cette humeur sombre et de cette critique acerbe qui lui suscitèrent tant d’obstacles et tant d’ennemis. On connaît sa sortie contre le Pérugin, qu’il traita publiquement de ganache, sa réponse impertinente à Léonard de Vinci, à qui il reprocha si amèrement d’avoir abandonné, sans la mener à fin, la statue équestre de François Sforza, et vingt autres traits pareils. Ses compatriotes néanmoins avaient des trésors d’indulgence pour lui, et le vieux Soderini, gonfalonier perpétuel de la république, ne négligea pas une occasion de lui confier des travaux, pas une occasion de le mettre en vue. Coup sur coup, le jeune artiste reçut une série de commandes flatteuses, trop connues pour qu’il soit nécessaire de les étudier à nouveau ici, le David colossal en marbre, le David de bronze destiné au maréchal de Gié, les statues d’Apôtres destinées à la cathédrale, le carton de la Guerre de Pise, etc., etc., pour ne point parler des ouvrages qu’il exécuta vers cette époque pour des particuliers, le Cupidon, le Bacchus, la Pietà de Saint-Pierre de Rome, la Vierge de Bruges, et différens tableaux de chevalet.


IV.

Le carton de la Guerre de Pise avait été livré au mois d’août 1505. Son auteur n’avait pas attendu jusque-là pour retourner à Rome. Le 1er novembre 1503, le cardinal Julien della Rovere, neveu de Sixte IV, avait été élu pape en remplacement de Pie III : l’avènement de ce pontife, qui rendit si célèbre le nom de Jules II, excita les espérances de tout ce que l’Italie comptait d’artistes