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forme. L’inspiration d’abord : c’est du dedans et non du dehors que s’inquiète la musique ; de l’âme et non des choses. L’appareil du supplice, le détail matériel de la meule, l’effort du prisonnier qui la pousse., tout cela n’est qu’indiqué par un léger accent ; le sentiment domine et absorbe la scène, à la magnificence de laquelle concourent l’orchestre et la voix, alternant en versets douloureux. Plus de trompettes pour répondre à Samson ; plus de harpes qui portent ses cantiques jusqu’au trône du Dieu des armées. Sa plainte n’éveille d’autres échos désormais que le gémissement d’un hautbois qui redit tout bas le deuil séculaire d’Israël ; sous les fenêtres du cachot le peuple lui aussi expie et pleure, maudissant le chef qui l’a livré. Plus bas, encore plus bas, le héros pénitent s’humilie, la clameur de reproche s’éloigne, s’éteint, mais toujours le hautbois soupire. On devine au dehors la nuit, la solitude, le silence…


Et de Jérusalem l’herbe cache les murs.


Si du fond nous passions à la forme, il serait aisé d’en montrer la pureté, la clarté, la précision et l’exactitude. La beauté de cette dernière page n’est pas seulement une beauté sainte ; c’est une beauté saine. Goethe, je crois, a dit : le classique est sain, le romantique est malade, et selon cette définition encore, le musicien de Samson est un grand classique.

L’interprétation de Samson à l’Opéra est dans l’ensemble au-dessous de ce qu’elle fut à l’Éden. Dans l’ensemble ou dans les ensembles plutôt. L’orchestre et les chœurs sonnaient autrement là-bas. Je me rappelle encore l’impression délicieuse et printanière que produisait l’adorable chœur des jeunes Philistines, au premier acte. Les Philistines, cette fois, m’ont paru plus mûres, avec je ne sais quoi de mou, de veule et de vieux dans la voix et l’intonation.

Mme Deschamps-Jehin a des notes superbes ; elle n’a même que de ces notes-là. On voudrait qu’elle en eût de plus émues, et comment dirais-je ? de plus troublées, de plus inquiétantes. On voudrait aussi peut-être plus de finesse, de poésie, de langueur, quelque chose du Cantique des cantiques. Mais quoi ! L’artiste a de la vaillance, une voix magnifique ; elle ne ravit point, mais elle satisfait. M. Vergnet, au contraire, nous a ravi par la pureté, la grandeur de son style et par une chaleur qu’on ne lui connaissait pas. Mais d’où vient le « vieillard hébreu » du premier acte ? De Marseille sans doute. Il l’y faudrait renvoyer et confier à une voix moins ridicule le rôle, très important à la fin du premier acte, de cet israélite âgé.

C’est un joli sujet que celui de Stratonice, emprunté à un récit de Lucien : la Déesse de Syrie. Séleucus Nicanor, roi de Syrie, est sur le