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point d’épouser une princesse grecque, nommée Stratonice. Cependant le fils du roi, le jeune Antiochus, se meurt d’un mal mystérieux, que personne ne peut guérir, ou seulement comprendre. Mais un regard surpris entre le prince malade et Stratonice éclaire le médecin attentif. C’est d’amour que languit le jeune homme, d’un amour partagé par Stratonice, et que tous deux allaient héroïquement sacrifier. Séleucus averti refuse le double sacrifice, et met généreusement la main de son fils dans celle de sa fiancée.

Cette édifiante histoire a eu la rare fortune d’inspirer à trois grands artistes un poème, une partition et un tableau, et le prince dilettante, ami de tous les arts, qui possède la Stratonice d’Ingres, pourrait se donner le triple plaisir d’écouter devant la toile du peintre les vers du poète et les mélodies du musicien.

Le poète, c’est André Chénier. De la Déesse de Syrie il a fait le Jeune malade. Il a modifié le sujet, le dépouillant de tout caractère princier d’abord, puis de tout caractère moral. Plus de roi, ni de fils de roi ; plus d’émulation ni d’abnégation d’amour. Le « jeune malade » n’a pas de rival à redouter. De là vient que l’églogue de Chénier est peut-être, des trois œuvres, celle qui laisse la plus complète impression de bonheur. Dès que la jeune fille apparaît au chevet de celui qu’elle vient guérir, il ne reste au front et dans l’âme de personne l’ombre ni d’une arrière-pensée ni d’un regret. Pas une larme, même furtive, ne paiera cette joie, qui n’est faite d’aucun sacrifice. Si Chénier a simplifié le sujet, il l’a surtout poétisé. Il a embaumé son églogue d’un parfum qui manque à la partition et au tableau : le parfum de la nature et de la nature antique. Il a mis sur les lèvres tremblantes de son jeune malade des soupirs, des appels aussi passionnés que les élans de Virgile vers la fraîcheur des bois, vers la clarté des sommets où dansent les vierges de Laconie.


Ô coteaux d’Érymanthe ! vallons ! ô bocages !
Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage
Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein
Agitais les replis de leurs robes de lin.
De légères beautés troupe agile et dansante !
Tu sais, tu sais, ma mère, aux bords de l’Erymantbe,
Là, ni loups ravisseurs, ni serpens, ni poisons.
visages divins ! ô flûtes ! ô chansons !
............
Oh ! portez, portez-moi sur les bords d’Érymanthe !
Que je la voie encor, cette nymphe dansante !
Oh ! que je voie au loin la fumée à longs flots
S’élever de ce toit, au bord de cet enclos !


Ni chez le peintre, ni chez le musicien on ne retrouve cette note rustique et ce sentiment de la nature. Plus classiques tous deux, ils