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à la préparation des fêtes royales, lorsqu’on apprenait tout d’un coup que la maladie retenait le jeune Alphonse XIII à Séville, qu’il n’y avait plus de voyage à Grenade. Grande déconvenue pour la ville privée de ses fêtes, pour ces imaginations andalouses ! Aussitôt le mécompte se changeait en exaspération, presque en sédition. On saccageait les arcs de triomphe, et ce voyage qui promettait à la régente, au jeune roi, les ovations, la popularité, ce voyage manqué devenait un grief contre le gouvernement, contre les ministres, contre tout le monde officiel. Ce n’est pas tout : pendant ce temps, à Madrid, où il y avait aussi des fêtes pour le centenaire de Christophe Colomb, une sorte d’émeute éclatait sous le plus futile prétexte, pour l’interdiction de quelque concert. La population se livrait à des manifestations violentes. En réalité, ces manifestations étaient dirigées surtout contre l’alcade, devenu fort impopulaire, accusé, à tort ou à raison, de couvrir de son autorité le gaspillage des finances municipales, toutes sortes de malversations et de fraudes dans l’administration de la ville, — et par le fait, cet alcade, M. Bosch, était obligé de se retirer devant l’animadversion publique. Sur d’autres points de l’Espagne, les scènes tumultueuses se multipliaient à propos des octrois, à propos de tout et de rien. C’étaient autant de signes d’un malaise croissant, d’un certain ébranlement d’opinion.

Bref, ce voyage d’Andalousie, qui semblait avoir si bien commencé, finissait assez mal, dans des conditions assez pénibles ou assez incertaines : de sorte que le gouvernement, en rentrant à Madrid, trouvait devant lui des embarras plus sérieux qu’il ne le croyait lui-même. De petites séditions locales, ou même les manifestations de Grenade, n’auraient été rien encore ; mais, de tous ces incidens, le plus grave était évidemment l’incident de Madrid, parce qu’il soulevait une question de moralité publique, qui n’est encore rien moins qu’éclaircie, parce qu’il se rattachait à toute une situation, parce qu’il se compliquait de conflits intimes dans le ministère, dans l’ensemble du parti conservateur. C’était la mauvaise affaire qui restait à débrouiller, qui pesait sur le ministère. Si une crise, devenue inévitable et imminente, n’avait pas éclaté sur-le-champ, si elle avait été ajournée, c’est qu’en ce moment même le roi et la reine de Portugal se trouvaient en visite à Madrid, à la cour d’Espagne, et qu’on ne voulait pas troubler les fêtes offertes aux jeunes souverains étrangers. À peine les princes portugais étaient-ils partis, la question renaissait tout entière. Elle se réduisait à ceci : d’un côté, le successeur du dernier alcade de Madrid, M. Bosch, le marquis de Cubas, chargé de faire une enquête sur l’administration de la ville. Il s’est mis courageusement à son œuvre d’investigation. Il n’avait pas tardé à adresser au gouvernement un mémoire où, en dévoilant les plus crians abus, il réclamait la poursuite des coupables de toutes les fraudes, et il était soutenu par le ministre