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contrée était pestilentielle, malgré les immenses jardins qui en couvraient la surface ; on redoutait jusqu’au vin qu’elle produisait. — Vaticana bibis, bibis venenum, écrit Martial ; — les soldats germains et gaulois de Vitellius ont, au dire de Tacite, payé de leur vie l’imprudence d’être allés camper infamibus Vaticani locis… C’est dans ce quartier mal famé pourtant, au pied même de l’horrible cirque de Néron, que le pape Sylvestre a élevé son temple du Christ, après la grande victoire de Constantin sur Maxence ; et bientôt de toutes les collines de la ville éternelle, l’univers ne connut plus que cette côte déserte qui gardait la tombe d’un pauvre pêcheur galiléen !

Des constructions innombrables étaient venues depuis, dans une longue suite de siècles, peupler et même encombrer la région jadis si abandonnée : les descriptions qui nous sont faites de la place du Vatican au sortir du moyen âge ne laissent pas d’éveiller la pensée d’un entassement excessif. À droite, au nord, le palais pontifical dressait ses murs crénelés et multipliait ses tours, ses cours et ses loggie. À gauche, des annexes et des dépendances sans fin, attachées aux flancs de Saint-Pierre, englobaient le noble monument dans leurs masses disparates et diffuses. Aussi loin que plongeait le regard, on ne voyait que sacristies, presbytères, oratoires, chapelles, églises rondes ou à longue nef, couvens, hospices, mausolées et cimetières : ils obstruaient les avenues, débordaient surtout au sud, du côté du cirque Néronien et en enlaçaient la guglia[1]. Au milieu toutefois de cette végétation parasite des bâtisses, la basilique du pape Sylvestre avait conservé sa forme primitive, gardé intactes ses grandes lignes architecturales. Le décor et l’aménagement ont dû souvent être changés et renouvelés : les parties constitutives de l’édifice sont restées les mêmes jusqu’à l’époque de Jules II, on peut dire jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Un perron monumental, de trente-cinq marches en cinq sections, tout de marbre et de porphyre, conduisait d’en bas à l’immense plateau portant le sanctuaire. En haut de cet escalier s’étendait une vaste terrasse de plus de seize mètres de profondeur ; là avaient lieu les bénédictions urbi et orbi, les couronnemens des papes, les réceptions solennelles des empereurs et rois, ainsi que les autres grandes pompes publiques ; Charlemagne y lut salué par le pape Adrien Ier, le dimanche des Pâques 774, après avoir monté à genoux le perron et en avoir embrassé chacune des marches. La loge des

  1. Guglia, acuglia (aiguille) était le nom donné autrefois par le populaire à l’obélisque qui couronnait la spina du cirque de Néron (ou plutôt de Caligula) au Vatican. On sait que Sixte V fit transporter l’obélisque à l’endroit qu’il occupe aujourd’hui en face de Saint-Pierre. Une plaque posée par terre en dehors de la sacristie actuelle porte l’inscription : Sito dell’ obelisco fino all’ anno MDLXXXVI.