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portes étant alors toutes grandes ouvertes, et le soleil donnant en plein sur le chancel fulgurant et le maître-autel, ainsi que sur les sombres mosaïques de l’arc triomphal et de la tribune : je me figure les nefs de Saint-Paul-hors-les-murs sur lesquelles viendrait se jouer certaine lumière dorée et émoussée de l’intérieur de Saint-Marc à Venise…

C’était le moment aussi où, du fond de l’atrium, d’au-dessous la navicella de Giotto, s’ébranlait la foule des pénitens pour se mettre en marche vers la Confession. Elle suivait une route monumentale, une via Appia chrétienne, toute bordée de tombes, et sur ces tombes se lisaient les noms de Léon Ier, Grégoire Ier, Adrien Ier et cent autres pontifes jusqu’à Boniface VIII[1], Nicolas V et le prédécesseur immédiat de Jules II. Les anciens empereurs Honorius et Valentinien III, le préfet de Rome, Junius Bassus, de la grande famille des Anicii, l’empereur allemand Othon II, les rois anglo-saxons Cedvalla et Offa avaient là également leurs mausolées, car il fut un temps où les puissans de la terre recherchèrent les honneurs d’une sépulture au champ sacré du Vatican. Que de choses tous ces noms ne disaient-ils pas au pénitent, au pèlerin, « venu des confins lointains de la Croatie ! » Ils lui rappelaient l’invasion des barbares et leur miraculeuse conversion, les guerres des croisades et les violences du Hohenstaufen et du Capétien ; la restauration de l’empire par Léon III et la restauration des lettres par Nicolas V : les luttes, les épreuves et les triomphes de l’Église. Cette frise de médaillons que le visiteur voyait courir tout le long de l’architrave dans la nef principale, c’était la suite non interrompue des successeurs de l’apôtre ; ce disque de marbre rouge que touchaient ses genoux, c’était la rota porphyretica sur laquelle les empereurs, avant le couronnement, venaient réciter le Credo et recevoir la bénédiction du cardinal-évêque. Maint oratoire, sculpture, mosaïque et ex-voto portait l’inscription des Othons, de Charlemagne ou de Constantin ; tout âge, tout héros de la chrétienté avait laissé sa trace dans cette enceinte ; de chaque pierre y parlait la grande voix de l’histoire, mirum spargens sonum, per sepulcra regionum

De ces oratoires, tombes, sculptures, peintures et inscriptions, nous ne possédons plus aujourd’hui que de misérables débris, des fragmens épars et mutilés, et on est parfois bien étonné d’apprendre par quelles transformations a dû passer et où est venue échouer telle noble épave de l’église du pape Sylvestre. Les solives

  1. Le tombeau de Grégoire VII manquait à Saint-Pierre ; il est à Salerne : Dilexi justitiam et odivi iniquitatem, propterea morior in exilio… Chose curieuse, le nom de Grégoire VII manque également dans le grand poème de Dante, qui ne fait nulle part mention de Hildebrand ni de l’empereur Henri IV !