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de son toit sont entrées, dit-on, dans la charpente du palais Farnèse ; les quatre monolithes en granit égyptien, placés jadis aux portes de l’atrium, sont allés orner la façade de l’Acqua Paola ; la fameuse pomme de pin du cantharus avec ses deux paons de bronze repose à présent dans la nicchiola du jardin du Vatican, et huit des célèbres colonnes vitinées de la Confession ont été enfermées dans les balcons baroques qui, à Saint-Pierre, déparent les quatre gigantesques piliers de Bramante. Bien plus étranges encore furent les destinées du tombeau de l’empereur Othon II. Le sarcophage antique qui gardait la dépouille mortelle du jeune monarque jusqu’en 1609, — l’année où fut abattue la dernière partie de l’ancienne basilique, — a été changé depuis en fontaine pour décorer la cour du palais Quirinal, tandis que son superbe couvercle, une colossale urne en porphyre rouge, est devenu le bassin des fonts baptismaux que l’on voit maintenant dans la première chapelle de Saint-Pierre, à gauche de l’entrée : notez que l’urne en question venait du mausolée d’Adrien et avait très probablement contenu les cendres de ce prince ultra-païen ! Comme exemple des prodigieuses métamorphoses dont Borne seule peut donner le spectacle, le bon Ampère aimait à citer ce bassin baptismal auquel étaient attachés les noms de l’ami d’Antinoüs, d’un kaiser mystique, « et d’une infinité de marmots transtévérins ! .. » Parmi les restes les plus connus que le nouveau Saint-Pierre a recueillis de l’ancien, il est superflu de signaler la navicella et le ciboire de Giotto (ce dernier dans la sacristie), les portes de Filarete[1] et les mausolées en bronze de Sixte IV et d’Innocent VIII ; quant au plus célèbre des tombeaux pontificaux du quattrocento, celui de Nicolas V, ses fragmens, — avec tant d’autres monumens précieux et horriblement mutilés, — jonchent depuis 1609 le sol de ces sagre grotte vaticane qui forment comme une seconde basilique sous l’église supérieure, et que l’on visite à la lueur des torches comme un second Herculanum.

Herculanum étrange, et d’autant plus émouvant que les ruines ici témoignent de la fureur, non point des élémens, mais des hommes, et d’hommes qui, à tant d’égards, nous étaient supérieurs et sont restés nos maîtres ! Comment se fait-il que, dans un siècle si éveillé, alors que tout morceau de marbre antique était recueilli avec piété, et que Raphaël adressait à Léon X son fameux rapport sur la conservation et la restauration des monumens de Borne, comment se fait-il qu’à ce même moment on ait, de propos

  1. A gauche de cette porte, en haut de la façade, on lit aussi la longue et belle inscription de Charlemagne on l’honneur du pape Adrien Ier (de la plume d’Alcuin ? ).