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que, l’année suivante, le Génie du christianisme souleva. Il ne doit pas être oublié de nous. Il prouve que le Génie du christianisme ne fut pas isolé, et qu’il répondait à un besoin, à une sollicitation de l’opinion publique déjà exprimée çà et là. La réaction religieuse de 1800 ne fut pas faite par Chateaubriand. Elle existait, il en profita. Elle fut plus qu’une mode littéraire. — Elle fut d’abord une réaction ; ce qui suffirait à l’expliquer, une génération ayant toujours, sans qu’il y soit besoin d’une autre cause, un vif besoin de penser autrement que la génération qui la précède. — Elle fut ensuite une sorte de recueillement, très analogue à cette sorte de stoïcisme, plus ou moins chrétien chez les uns, plus ou moins païen chez les autres, qui fut essayé vers la fin du XVIe siècle par Guillaume du Vair et quelques-uns de ses contemporains. — Elle fut assez forte, très mêlée et trop mêlée de rancunes ou d’espérances politiques, mais vraiment sérieuse et réfléchie. En 1801, il est bien vrai que le XVIIIe siècle, je ne dis pas est fini, mais tourne une borne de son stade. Comment dirais-je ? Il se déclasse, en quelque manière. Des hautes classes il passe aux classes inférieures, que jusque-là il avait peu atteintes ; là il s’installe, et poursuit son évolution qui durera très longtemps encore, et qui n’est pas terminée à l’heure où nous sommes. 1801-1802 est une date très considérable dans son histoire. — L’Antigone de Ballanche parut en 1814. Ce n’est qu’un Télémaque très prétentieux. On n’y trouve point, ce qui surprend, la théorie de l’expiation qui devint plus tard si familière et si chère à Ballanche. Le dessein moral du livre nous est révélé par quelques lignes de l’épilogue. Cette histoire d’Œdipe est l’histoire de l’nomme « roi de l’énigme, puissant pour avoir compris, misérable pour avoir compris davantage. » La leçon d’humilité contenue en effet dans le mythe d’Œdipe, et qui s’accommode très bien aux méditations habituelles d’un chrétien, semble avoir été comprise par Ballanche un peu après coup. Il est regrettable qu’il n’en ait pas tiré un meilleur parti. C’est ici la partie du christianisme, — si essentielle qu’elle en est presque le fond, — que nos néo-chrétiens de 1800, qu’ils s’appellent du reste de Maistre, de Bonald, de Chateaubriand ou Benjamin Constant, ont le moins comprise, et le moins remise en lumière. Il convenait au modeste et charmant Ballanche d’aller plus loin qu’à seulement s’en apercevoir. — À cette première période de la vie intellectuelle de Ballanche, je rattache, encore son troisième livre : Essai sur les institutions sociales dans leurs rapports avec les idées nouvelles. Ce n’est pas encore un livre très original. Il est très fort inspiré de Bonald et de De Maistre ; mais il semble déjà l’être de Vico, ce qui est très intéressant en 1818, et l’on y trouve les