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724 REVUE DES DEUX MONDES.

— C’est déjà quelque chose. Rassurez-vous, on me revoit toujours. Mais j’avais juré de ne me présenter ici que dans une toilette digne de vous, et les couturières ne sont jamais de parole. Trouvez-vous ma robe jolie ?

Elle pivota sur elle-même pour me la faire admirer sous toutes ses faces.

— Je la trouve presque aussi charmante que vous l’êtes dans vos bons jours.

— Vos complimens sont toujours fourrés d’une épigramme. N’oubliez pas que vous avez beaucoup à réparer, qu’un matin, à Beauregard... Mais laissons dormir le passé. Réellement je vous parais charmante ?

— J’ai vu l’autre jour, repartis-je, à la devanture d’un marchand de bric-à-brac, une gravure qui représentait Vulcain recevant dans ses forges la visite d’Iris. Il avait l’air ravi et un peu embarrassé.

— Cette fois la rose est sans épines ; vous êtes délicieux, et voilà comme je vous aime. Le fait est que M me Cleydol serait fort scandalisée si elle pouvait soupçonner que je suis en ce moment dans un appartement de garçon. Elle n’a jamais eu de précepteur, elle ne sait pas même ce que c’est. Je lui ai fait croire que j’allais au Bon Marché. La vérité est que j’avais besoin de me distraire. Nous passons nos journées au Champ de Mars, et cette veuve de magistrat est aussi méthodique par tempérament que l’est Sidonie par principes. Elle veut tout voir, tout comprendre, tout étudier de près et par ordre. Nous sommes restées hier cinq heures au moins dans la galerie des machines, et j’étais si lasse de grandes et de petites roues, de manivelles, de bielles et de pistons, que je me suis dit : « Demain, pour changer, nous irons visiter la niche de mon chien. »

Elle voulut faire le tour de cette niche. Le ciel soit louél son portrait n’était point accroché au mur de mon cabinet de travail. Le ciel soit béni ! Sa pantoufle reposait au fond d’un tiroir de commode, dont j’avais retiré la clé. Elle loua la propreté, la bonne tenue de mon appartement, et il est certain que mes quatre petites pièces étaient infiniment mieux rangées que ne l’était sa chambre le jour de son mariage. Ce qui lui plut surtout, ce fut mon balcon. Nous y passâmes plus de vingt minutes, accoudés sur la balustrade. Quand les voitures faisaient trop de bruit, elle devait, pour se faire entendre, approcher sa bouche de mon oreille. Il me sembla que les passans levaient la tète pour nous contempler et m’enviaient ma bonne fortune. Un de mes anciens camarades d’école nous aperçut, me salua en souriant, et lorsqu’il arriva au bout < !e la rue, il se retourna pour nous regarder encore, et je me