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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/770

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76 À REVUE DES DEUX MONDES.

l’envoi de mon message. Mais je tiens à vous prouver combien vous connaissez peu mon mari. Je veux le mettre à l’épreuve. Asseyez-vous là, et écrivez sous ma dictée.

Je m’assis, je pris la plume par pure complaisance, mais je la laissai tomber plus d’une fois. Monique m’obligea d’aller jusqu’au bout. La lettre qu’elle me dicta était ainsi conçue :

« Cher monsieur, vous me priez de vous donner des nouvelles de votre femme. Permettez-moi de vous confier, bien à regret, les inquiétudes qui me sont venues à son sujet, et que jusqu’aujourd’hui j’ai gardées pour moi. Elle est jeune, étourdie, et peut-être lui avez-vous témoigné une excessive et imprudente confiance. Ne prenez pas mon avertissement au tragique ; je suis persuadé qu’elle n’a rien fait jusqu’ici qui puisse compromettre votre honneur et le sien. Mais je lui reproche sa dangereuse coquetterie et des légèretés de conduite. J’aurais voulu qu’elle sût mieux se défendre contre certaines assiduités, contre certaines entreprises. Vous savez ce que je veux dire, et de qui je veux parler. J’ai donné des conseils qui n’ont point été écoutés. Je désire que vous jugiez par vos yeux. Si vous vous présentiez après-demain chez elle, à dix heures du soir, vous ne la trouveriez pas seule, et vous décideriez vous-même si mon amitié pour vous est trop prompte à s’alarmer, et si je cherche à vous prémunir, elle et vous, contre des dangers imaginaires. »

Aussitôt écrite, je voulus déchirer cette lettre ; Monique me l’arracha des mains. Je lui représentai qu’il y a des épreuves qu’on ne tente pas, que certaines plaisanteries sont des jeux de prince, qui causent peine et dommage, et qu’un esclandre^est bientôt arrivé.

— Que vous êtes candide ! s’écria-t-elle. Savez-vous ce qui arrivera ? Si en ce moment Louis est fort occupé, il vous répondra courrier par courrier pour vous demander un supplément d’informations, où il vous priera de veiller vous-même au grain ; si ses affaires lui laissent quelque loisir, nous le verrons apparaître doux comme un agneau, passant sa main sur sa barbe, et il me dira d’un ton bénin : « Ma chère Monique, prenez-y garde, une jeune femme a bientôt fait de se compromettre, et vous savez combien sur cet article ma respectable mère est chatouilleuse. »

Je fis de vains efforts pour la dissuader ; elle me déclara que, si je n’envoyais pas ma lettre, elle ferait partir la sienne. Entre deux maux je choisis celui qui me semblait le moindre. Aussi bien il ne me déplaisait point de réveiller, de secouer par une alerte ce mari tranquille, dont la torpeur m’irritait.

— Je respecte infiniment M. Monfrin, dis-je à Monique, et il n’est pas un de ces hommes qu’on se permette de mystifier. S’il s’avisait de se fâcher...