Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/923

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une manifestation d’abnégation sublime, n’a pu prononcer le mot rétractation ni avec ses lèvres, ni dans son cœur. Non, elle ne l’a pas fait, je l’affirmerais, un mort se levât-il du tombeau pour jurer le contraire[1] ! »


III

Les Anglais ne rient que malaisément : pesans dans leurs badinages, violens et parfois sinistres dans leurs plaisanteries. La souplesse, qui est la principale qualité de leurs corps, fait ordinairement défaut à leurs esprits. Dans la pantomime, ils savent forcer le rire par l’imprévu, la rapidité, la précipitation même des mouvemens et des gestes ; dans la comédie, ils l’obtiennent rarement par la finesse des observations et des mots, cherchant plutôt à la provoquer par la drôlerie des situations et des types. Et cela, même chez les auteurs de génie ; car, si le sac où Scapin s’enveloppe ne nous amuse plus guère aujourd’hui, goûterons-nous mieux le panier de blanchisseuse, où Falstaff est enfoui par les merry wives ? À ces défavorables dispositions de race pour produire le rire, Quincey en joignait une individuelle, qui eût dû lui défendre de demander à ses lecteurs, même de rire à demi. C’était la nature morbide de son tempérament littéraire. Car, si un Anglais qui rit, le plus souvent ne fait pas rire, un malade qui veut rire, ordinairement fait peur. Et cependant, dans son étude sur Jeanne d’Arc, comme dans presque tous les essais, qui remplissent les seize volumes de ses œuvres, Quincey prétend plaisanter légèrement, à la Voltaire, et y réussit, comme réussirait à jouer du Marivaux, un de ces grands gaillards d’acteurs anglais, bien bâtis à la saxonne, mal vêtus à la française, qui paraissent autant des athlètes que des comédiens. La plaisanterie de Thomas de Quincey, fondée d’habitude sur le paradoxe, a quelque chose d’inattendu et de très particulièrement étrange, qui ne laisse pas que de frapper, mais qui intrigue ou, plutôt, qui inquiète, comme un sourire sans motif dans une face paralysée. Nous allons rencontrer, dans sa Jeanne d’Arc, plusieurs plaisanteries de cette espèce-là.

Il prend d’abord à partie une compagne de Jeanne, appelée Haumette, qui avait assuré, contrairement à son opinion, que la Pucelle n’était pas une bergère. Et Quincey, à ce propos, de lutiner gauchement miss Haumette ; curieux spécimen de sa façon de rire,

  1. Joan of Arc, p. 241.