bruits, commentaires aggravans, rien ne manque. On s’empresse de prendre au mot les diffamations qui courent nos rues, d’exciter et d’abuser l’opinion du continent, de nous représenter comme un pays avec lequel on ne sait jamais s’il y a une politique extérieure suivie ou un gouvernement assuré ! Est-ce à dire que ces campagnes de polémiques et de correspondances intéressées soient destinées à réussir indéfiniment, que, pour un accident de vie intérieure, rien soit changé dans l’état général de l’Europe ? C’est l’affaire d’un jour, d’une saison. Les questions qui s’agitent entre les nations, les intérêts qui les divisent ou les rapprochent ne restent pas moins ce qu’ils sont.
Il n’y a que quelques jours à peine, le voyage du tsarewitch à Berlin, à l’occasion du mariage de la princesse Marguerite de Prusse, a suffi pour remettre les esprits en mouvement et raviver les mirages de combinaisons nouvelles en Europe. Ce voyage, il est vrai, a eu ses nuages. Par une fantaisie lugubre, on s’est plu à jeter au milieu des fêtes de la cour de Prusse, pendant le séjour du tsarewitch, le bruit d’un attentat contre le tsar qui paraît avoir un instant embarrassé ou contrarié le monde officiel à Berlin. À cela près, les imaginations ne se sont fait faute de broder sur ce voyage. Le grand-duc héritier de Russie ne pouvait manifestement être allé à Berlin, même à l’occasion d’un mariage, sans une intention politique, sans être chargé de quelque mission mystérieuse ! Un toast chaleureux de l’empereur Guillaume II au tsar a achevé d’échauffer les esprits. Pour les uns, c’était le signe d’un rapprochement définitif entre l’Allemagne et la Russie ; pour les autres, c’était le prélude de quelque alliance nouvelle des trois empereurs ou de l’entrée de la Russie dans la triple alliance, dans une quadruple alliance, — qui sait ? peut-être dans une quintuple alliance en y comprenant l’Angleterre ! C’était clair ! Le tsarewitch avait eu de longues conférences avec l’empereur Guillaume pour tout combiner ; il avait concerté avec lui un prochain voyage à Vienne. On allait un peu vite et on menait rondement les coalitions ! L’évolution eût été peut-être un peu prompte, quelques jours après le discours où M. de Caprivi voyait déjà les armées allemandes en campagne sur la Vistule et sur le Rhin.
En réalité, c’était beaucoup de bruit pour rien ou du moins pour une simple visite qui n’avait sans doute d’autre objet que de faire honneur à une vieille intimité entre les deux familles impériales. La politique n’avait probablement rien à voir dans le voyage du tsarewitch à Berlin. Après comme avant, il n’en est ni plus ni moins, parce que les relations ne se créent pas ou ne changent pas à volonté ; parce que deux nations lentement rapprochées par des intérêts communs, par une série de circonstances, ne se séparent pas pour un accident, qui est d’ailleurs assez fréquent aujourd’hui dans plus d’un pays, à Berlin