Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffit pas à rendre : la sensation complétant le sentiment, autrement dit l’idée intégrale, satisfaisant également nos sens et notre esprit. Relisez plutôt le poète :


LA LYRE.

L’aigle est l’oiseau du Dieu qu’entre tous on adore.
Du Caucase à l’Athos, l’aigle planant dans l’air,
Roi du feu qui féconde et du feu qui dévore,
Contemple le soleil et vole sur l’éclair.

LA HARPE.

La colombe descend du ciel qui la salue,
Et voilant l’Esprit-Saint sous son regard de feu,
Chère au vieillard choisi comme à la Vierge élue,
Porte un rameau dans l’arche, annonce au monde un Dieu.


Comme les autres, citées plus haut, ces deux strophes se ressemblent encore plus qu’il ne faudrait. La musique seule a su les opposer, lancer la première à toute volée, retenir au contraire et détailler lentement la seconde, créant entre l’une et l’autre ces contrariétés essentielles et saisissantes dont elle se réserve le secret et le privilège.

L’antithèse va se poursuivre encore. C’est « que tout fut changé, le ciel, la terre et l’homme, » et l’homme jusqu’au plus profond de son cœur, par le changement divin d’il y a dix-neuf cents ans.

« Aime, chante la lyre,


Aime ! Éros règne à Gnide, à l’Olympe, au Tartare !
Son flambeau de Sestos allume le doux phare ;
Il consume Ilion par la main de Pâris.
Toi, fuis de belle en belle et change avec leurs charmes.
L’amour n’enfante que des larmes,
Les amours sont frères des ris.


Ici, rien que des sonorités légères, transparentes, exquises : voix de femmes, harpes, sourdines, flûtes, des flûtes encore, mais cette fois douces d’une autre douceur, ourlant d’une frange d’argent un chant régulier comme celui des vagues d’Ionie. Sur des arpèges égaux et liés, où deux notes parfois s’effleurent et se caressent, la strophe se déroule, se joue en reflets de nacre. Et la légère nuance que les deux derniers vers indiquent seulement, cette imperceptible différence d’un singulier à un pluriel, comme la musique la souligne sans toutefois y trop insister ! Une variante de tonalité, de rythme, là un peu d’ombre, un nuage qui passe, ici le rayon et le sourire revenu, et en quatre mesures nous sentons se transformer l’idéal de la tendresse humaine et l’amour succéder aux amours.

Lequel ou lesquels prendrez-vous ? comme chante la ronde enfantine. Les amours peut-être, je l’avoue tout bas. En musique, bien entendu, je vous supplie de le croire.