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L’amour divin défend de la haine infernale.
Cherche pour ton cœur pur une âme virginale.
Chéris-la. Jéhovah chérissait Israël.
Deux êtres que dans l’ombre unit un saint mystère,
Passent en s’aimant sur la terre,
Comme deux exilés du ciel.


M. Saint-Saëns a traduit en duo la vertueuse strophe ; duo conjugal et chrétien, duo régulier, je dirais presque légitime, pour ténor et contralto unis en honnête mariage. Il a tout à fait bon air, ce duo, un air sérieux, heureux aussi ; il est fait de grâce un peu grave, de confiante, fidèle et durable tendresse, sans parler de l’estime réciproque, qu’il respire autant que l’amour. Je plaisante : il est charmant, le sage épithalame, avec son petit trottinement d’orchestre, sa pointe d’archaïsme, presque de scolastique, et le souvenir ou la figure, obligatoire en toute allocution nuptiale, de l’amour de Jéhovah pour Israël et du Christ pour son Église.

N’importe, le paganisme peut-être a le mieux inspiré le compositeur, et c’est, je crois, la voix de la lyre qui nous reste dans la mémoire. L’esprit de la joie échauffe cette œuvre ; il y chante plus haut que l’esprit du devoir et du sacrifice. « Jouis, » s’écrie-t-il en un transport vraiment antique.


Jouis, c’est au fleuve des ombres
Que va le fleuve des vivans.


Tel est le dernier conseil de la lyre, hymne délicieux, traité, ne vous récriez pas, en mouvement de valse. Mais quelle valse ! De quel cœur, de quelle fièvre elle rythme les battemens ! Avec quelle jeunesse, quelle grâce et quelle insouciance, quel dédain de tout ce qui n’est pas la vie, de tout ce qui n’est pas le plaisir ! Voici, comme dit M. Taine, le bel animal humain, ou, comme disait plus noblement Racine, « le plus beau sang de la Grèce et des dieux. » Ici chante la volupté païenne. C’est le Carpe diem, le nunc est bibendum, nunc pede libero pulsanda tellus, c’est l’ivresse de vivre et la terre frappée d’un pied libre, c’est Anacréon, Théocrite, Horace. Encore une fois, c’est la vie antique ; puis la mort antique aussi, frôlant d’une aile légère un front couronné de roses.


Enfin, comme un pâle convive,
Quand la mort imprévue arrive,
De sa couche il lui tend la main,
Et, riant de ce qu’il ignore,
S’endort dans la nuit sans aurore
En rêvant d’un doux lendemain.