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avec leurs femmes et leurs enfans comme dans une souricière pour les immoler plus facilement ; et les habitans imaginèrent qu’on voulait les isoler dans la ville pour les égorger avec plus d’assurance. Les uns et les autres promirent de ne point se séparer, pour se prêter des secours mutuels. Plusieurs personnes, effrayées, sortirent de la ville comme si elle devait être saccagée[1]. »

Un conflit latent existait donc entre M. d’Albert de Rions et la population toulonnaise lorsque l’incident dit de la cocarde noire se produisit, le 13 novembre 1789. Que, dans cette circonstance, le commandant de la marine ait cru devoir prendre parti pour l’officier malmené par les volontaires de la garde nationale, la chose, à ce qu’il semble, s’explique le plus naturellement du monde. M. d’Auville, à vrai dire, lieutenant au régiment de Dauphiné, ne servait pas directement sous ses ordres. Mais il avait été victime d’une injustifiable agression ; M. de Rions exerçait à Toulon le plus important des commandemens, puisqu’il n’y avait plus, à ce moment, de gouverneur en titre de la ville ; la plus simple des règles de la solidarité militaire lui imposait l’obligation de ne point se désintéresser d’une pareille affaire. Ses ennemis manquent donc de bonne foi et d’équité lorsqu’ils lui reprochent, dans le verbeux réquisitoire adressé à l’assemblée nationale, l’empressement qu’il mit à intervenir en faveur de l’officier insulté.

Cette intervention fut d’ailleurs courtoise et mesurée. Un certain nombre de « bas officiers, » du corps royal des canonniers-matelots, avaient porté à la municipalité une protestation contre les sévices exercés par les volontaires de la milice citoyenne sur la personne d’un officier. « Nous venons, disaient-ils, vous déclarer qu’en qualité de citoyens et de militaires, nous reconnaissons pour maître notre roi et pour chefs nos officiers ; que nous ne souffrirons jamais qu’on manque au respect qui est dû soit à ceux de terre, soit à ceux de la marine ; et que nous les soutiendrons par honneur et par devoir… Nous réclamons la tranquillité pour les militaires et principalement pour les citoyens de la ville, continuellement tourmentés par les factionnaires de la milice nationale…[2]. » Cette protestation fut-elle spontanée, comme l’affirme expressément M. de Rions, ou rédigée à l’instigation et même sur l’ordre exprès de quelques officiers, ainsi qu’il est dit dans le Mémoire de la ville de Toulon ? La chose est incertaine et, d’ailleurs, d’intérêt secondaire[3]. Quoi qu’il en soit, M. de Rions prit aussitôt texte

  1. Mémoire de la ville de Toulon, p. 14.
  2. Ibid., p. 24.
  3. Quelques expressions telles que : « Nous reconnaissons pour maître notre roi » et les plaintes au sujet de l’intolérable inquisition exercée par les volontaires de la garde nationale semblent bien indiquer que des officiers nobles n’ont pas été étrangers à la rédaction de ce document. Lors de l’enquête qui fut faite postérieurement par les soins de la municipalité afin d’établir la responsabilité de M. de Rions dans cette affaire, vingt-huit bas officiers déposèrent devant M. d’André : « Que ce n’avait été que d’après une minute présentée par leur major et les sollicitations menaçantes de cet officier qu’ils se déterminèrent à la signer, en supprimant néanmoins quelques expressions trop violentes contre les volontaires. » (Brochure intitulée : Précis sur l’affaire de Toulon, p. 6.)