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de cette demande pour adresser, le 15 octobre, au maire-consul et aux autres membres de la municipalité la lettre suivante : « On vient de me rendre compte que les bas officiers des 6e et 7e divisions, désagréablement affectés de ce qui s’est passé avant-hier à la Porte-Vieille au sujet d’un officier du régiment de Dauphiné, avaient pris sur eux d’aller eux-mêmes vous le témoigner. Avant que d’approuver ou de désapprouver pareille démarche, j’ai cru devoir vous demander la manière dont elle s’est faite et si, en la fesant, ils ont sçu conserver, comme je l’espère, le respect qui vous est dû[1] » Cette lettre dont la forme, comme on peut le voir, était d’une irréprochable correction à l’égard du corps municipal, contenait malheureusement quelques observations assez désobligeantes à l’adresse de la garde nationale. Il y était parlé de « l’espèce d’inquisition que la milice cherchait à établir à l’occasion de la cocarde nationale. » M. de Rions se déclarait « déterminé à ne pas souffrir qu’aucun des individus à ses ordres pût être inquiété sous un pareil prétexte. » Cette cocarde même était l’objet de commentaires qui trahissaient une certaine irrévérence. « Ce signe, était-il dit, a toujours été la marque distinctive du militaire. Un moment d’effervescence l’a fait adopter à toutes les classes de citoyens. Ce moment est passé presque partout : pourquoi durerait-il plus longtemps pour Toulon que pour les autres villes du royaume ? Il est tout simple que la milice continue à le porter, mais il l’est également de laisser au reste des citoyens la liberté sur ce point[2]. » Pénétrons-nous de l’esprit du temps ; rappelons-nous qu’un des traits caractéristiques de cet esprit a été le goût des emblèmes, — cocardes, bonnets rouges, triangles égalitaires, etc., — poussé jusqu’à une sorte de fétichisme : et nous Comprendrons que ces appréciations de M. de Rions sur la cocarde tricolore, fort sensées en soi, aient paru blasphématoires aux dévots de la révolution.

Une première députation de la garde nationale fut envoyée au commandant de la marine pour réclamer le châtiment des bas officiers signataires de la protestation. M. de Rions répondit qu’il n’avait rien trouvé de répréhensible dans leur démarche et qu’il

  1. Archives municipales de Toulon, lettre de M. le comte d’Albert de Rions, du 15 novembre 1789.
  2. Ibid.