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l’Italie, en ce qui touche surtout le point sur lequel on pourrait avoir quelque raison de douter, la réaction cléricale qui paraissait se dessiner en France… Non, non, nous n’avons rien à craindre. Je suis sûr, au contraire, que la grande majorité des Français, que la France moderne voit dans l’Italie un sujet de force, non un danger pour elle. »

Mais l’Italie ne voulait pas être rassurée ; elle ne l’est pas au bout de vingt-deux ans. Nos ministres et ses ministres avaient beau parler franc et net, elle aimait mieux suivre M. de Bismarck, qui agitait devant elle le spectre noir du pouvoir temporel. Nos hommes d’État, ses propres hommes d’État avaient beau répéter que ni le gouvernement français, ni l’opinion publique en France ne pensaient à la restauration de ce pouvoir, que la masse y demeurait indifférente, que le parti libéral s’y opposerait, que le parti clérical lui-même, sauf un ou deux enthousiastes, comme MM. de Belcastel et du Temple, n’en était plus à la foi agissante : toujours elle voyait le spectre noir qu’agitait M. de Bismarck.

Quand on n’eut plus, en Italie, autre chose à nous reprocher, on nous reprocha de ne pas nous jeter, nous aussi, dans le Kulturkampf. Quand ce grief, à son tour, ne fut plus de saison, on nous dit : « Si le comte de Chambord eût régné, il l’eût restauré, lui, le pouvoir temporel. » Mais tout d’abord, le comte de Chambord n’a pas régné et, ensuite, toutes les chances sont pour qu’il ne se fût pas lancé étourdiment en une telle aventure. N’importe, l’Italie entière nous voit débarquant à la Spezzia. Elle nous voyait partant pour cette croisade, sous le ministère Floquet ! Et non-seulement les politiciens, dont la bonne foi peut être médiocre, mais les humbles, les simples, dont la bonne foi n’est le plus souvent qu’égarée. Des gardiens de ruines m’ont livré le fond de leur âme, au Palatin, dans la maison de Livie, un jour que je m’étais réfugié près de leur feu, pendant un orage. Or, leur âme de pauvres gens était hantée de la France, de ses marins et de ses soldats.

M. Crispi, compère et complice de M. Bismarck, à force de dénoncer le tumultus gaîlicus, le péril français, à force de fixer les yeux de l’Italie sur la pointe de nos baïonnettes, a plongé son pays dans une profonde hypnose. Qui l’en tirera ? Pas même la preuve faite que ses inquiétudes sont puériles et vaines. Un député italien, M. Musolini, disait en 1872 : « L’assemblée française a imposé à son gouvernement l’obligation de restaurer le pouvoir temporel du pape… Une guerre est-elle possible entre la France et nous ? Possible ? Elle est inévitable. La France ne peut pas ne pas nous faire la guerre. Elle nous la fera et bientôt… Et je vous dis que ceci aura lieu avant que finisse 1874. Oui, messieurs, en 1874, nous serons en guerre avec la France. »