Un sentiment d’honneur et de solidarité guidait et soutenait M. de Falloux dans cette épreuve. Après cela il prenait galamment d’un cœur libre et avec une sorte d’ironie hautaine cette mésaventure d’une captivité de quarante-huit heures au Mont-Valérien. Il trouvait pourtant que son ancien camarade de collège, le ministre de l’intérieur du coup d’État, M. de Morny, — « qu’on surprenait rarement en flagrant délit de mauvais goût, » — aurait pu leur épargner, à lui et à ses collègues, le luxe de la « voiture cellulaire des forçats. » Il trouvait que c’était trop, qu’un modeste fiacre aurait suffi, et il disait gaîment à son compagnon de captivité, M. de Rességuier : « Décidément je ne tutoierai plus Morny ! » Une autre surprise moins déplaisante lui était réservée dans la place forte. Peu après son entrée au Mont-Valérien, il recevait la visite de M. de Persigny, qui accourait tout ému de le savoir là et se confondant en excuses de ne l’avoir pas averti. — « Mais, mon pauvre ami, répliquait-il vivement, c’est de m’avoir averti que je ne vous pardonnerais pas. Qu’aurais-je fait de votre avertissement ? Qu’aurait-il changé à mon devoir ? » Et il ajoutait avec une bonhomie qui n’était pas exempte de hauteur ou de malice : « Gardons notre vieille amitié en dehors du combat. Tâchez de donner de bons conseils à votre prince : il en a souvent besoin, et puisque vous osez assumer sur vous seuls le salut de la France, du moins sauvez-la. Je ne crois pas que le salut soit où vous le cherchez. Si je me trompe, je vous rendrai justice, n’en doutez pas… » Quel jeu bizarre des choses ! Quelques années auparavant c’était M. de Falloux qui allait visiter M. de Persigny dans sa prison au Luxembourg ou à Versailles ; maintenant c’était M. de Persigny qui rendait sa visite à M. de Falloux, vaincu du coup d’État napoléonien, et qui venait s’excuser en lui disant : « Vous m’avez coûté beaucoup d’angoisse ? » M. de Falloux, quant à lui, ne s’est jamais figuré avoir eu son martyre pour quelques heures passées au Mont-Valérien. Il sentait seulement que tout avait changé, que c’en était lait peut-être pour longtemps des espérances monarchiques, — qu’il n’y avait plus pour lui d’autre rôle que la dignité et l’attente dans la retraite.
Le 2 décembre en avait décidé ainsi ! Il n’était lui-même que la préface de la résurrection impériale, et pour plus de quinze ans, c’était la disparition, l’éclipse de toute une génération brillante,