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passion, dont les paroles émeuvent Cressida.jusqu’au fond de l’âme. La nuit tombe, a les choses blanches deviennent grises et obscures, » les étoiles commencent à éclairer le ciel. Cressida rentre pensive, les murmures de la ville s’éteignent. Accoudée à sa fenêtre, en face des horizons bleus de la Troade, les arbres du jardin à ses pieds, baignée des pâles lueurs de la nuit, Cressida songe, et comme elle songe, une mélodie trouble le silence ; un rossignol caché dans le feuillage d’un cèdre se fait entendre ; eux aussi les oiseaux célèbrent l’amour. Et quand le sommeil viendra, à quoi pensera-t-elle en ses rêves, sinon à l’amour ?

Elle est troublée, mais non vaincue ; il faudra encore bien des incidens ; ils seront tous menus, vulgaires, vraisemblables et lui paraîtront tous solennels, surhumains, voulus par les dieux. Elle pourra recouvrer par momens sa présence d’esprit en face de Pandare, retrouver son rire d’enfant, deviner ses ruses, car le roman continue en partie double. Cressida est toujours en état de déjouer les projets les mieux combinés de Pandare, mais elle sait de moins en moins débrouiller l’obscur entrelacs de ses sentimens. Le réseau se resserre ; elle promet maintenant une amitié de sœur : on avait déjà inventé cela au XIVe siècle. Elle ne peut plus voir Troïlus sans rougir ; le voici qui passe et qui salue : comme il est beau ! « Je crois bien qu’elle est maintenant piquée d’une épine qu’elle ne pourra pas ôter de toute la semaine qui vient. »

La passion et le mérite de Troïlus, les inventions de Pandare, le bon vouloir secret de Cressida, un orage qui éclate à propos (nous savons combien Cressida est impressionnable), ont la conséquence qu’ils devaient avoir : les deux amans sont en présence ; Troïlus, en héros sensible, s’évanouit. Car il est sensible à plaisir : quand la ville l’acclame, il rougit et baisse les yeux ; quand il croit son amie indifférente, il se met au lit de chagrin, et y reste toute la journée ; en présence de Cressida, il perd connaissance. Pandare le réconforte, et n’est pas long à s’apercevoir que « la chandelle ni lui ne servent plus à rien. » Que dit Cressida ? « Que dit l’alouette prise ? » Cressida pourtant dit quelque chose et des innombrables formes de l’aveu, ne choisit pas la moins délicieuse : « Serais-je ici, si je n’étais à vous, en mon âme, depuis longtemps déjà ? »

Furent-ils heureux ? u Jugez-en, vous qui avez été à ces fêtes. » Le gris matin paraît au ciel ; les amans chantent leur chanson d’aube. Toutes les vertus de Troïlus sont accrues et aiguisées par le bonheur ; c’est la thèse éternelle des poètes qui aiment l’amour.

Les jours, les semaines passent ; chacun de nos personnages continue son rôle. Pandare est très fier du sien ; que pourrait-on