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Un pareil budget, compliqué de réformes importantes, — on se propose de supprimer aussi l’impôt des portes et fenêtres, — peut-il être étudié et voté au pied levé par une chambre dont le mandat expire le 14 octobre prochain, qui, avant l’ouverture de la période électorale, doit être distraite de ses travaux par la session d’août des conseils généraux, et qui, par conséquent, n’aurait guère que quelques semaines de session à consacrer à un semblable travail ? Le recueillement, l’indépendance nécessaire à la discussion de ces questions d’argent qui affectent la bourse de chacun de nous, peut-on l’attendre de députés à la veille de paraître devant le suffrage universel, talonnés naturellement par l’inquiétude des urnes ; inquiétude qui parfois a été le commencement de la sagesse, mais qui, en fait d’impôts et de dépenses, serait un puissant aiguillon de folie ?

De bons esprits l’avaient pensé ; aussi, dans les milieux parlementaires, l’idée d’une dissolution « amiable, » résultant d’un accord tacite ou exprimé entre le ministère et la chambre, avait rencontré quelque faveur. Le plan consistait à faire les élections en juin, et à réunir la nouvelle chambre en juillet, pour la vérification des pouvoirs, afin que la session d’automne pût être consacrée tout entière au budget de l’année prochaine. D’autres députés trouvaient, à la date où nous sommes, cette proposition inopportune ; et le gouvernement ayant refusé de prendre parti pour ou contre, il est fort probable qu’elle sera abandonnée.

Si elle avait abouti, on eût vu, par une curieuse coïncidence, le suffrage universel fonctionner à la même heure en France et en Allemagne pour le renouvellement du parlement national, mais combien les conditions semblent différentes dans les deux pays ! On raconte que l’empereur Guillaume, causant il y a quelques semaines avec un homme d’Etat français, lui aurait dit : « Nous avons nos socialistes, mais vous avez vos anarchistes, et les deux se valent. » Si le mot est exact, c’était, n’en déplaise à sa majesté allemande, mal juger la situation intérieure française. L’anarchisme chez nous est tout de surface, tout artificiel, c’est un état-major sans soldats, tandis que le socialisme ne cesse de pousser, au-delà du Rhin, de formidables racines et qu’il est fort à craindre, pour nos voisins, de le voir se développer encore lors des élections qui auront lieu, le 15 juin prochain, sur tout le territoire de l’empire.

À ce point de vue, comme à beaucoup d’autres, le rejet par le Reichstag de la loi militaire, à 48 voix de majorité (210 contre 162), demeure l’événement le plus notable en Europe durant la dernière quinzaine. Les lecteurs de la Revue ont été tenus au courant des péripéties émouvantes de la lutte, soutenue à ce sujet depuis cinq mois, par le chancelier de Caprivi, contre la majorité parlementaire que l’on savait depuis longtemps