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manœuvrer « le petit instrument fourchu. » — « Et après qu’on eust tout osté, on apporta un grand bassin d’argent doré, avec un vase de mesme étoffe, et dedans de l’eau où on avoit trempé de l’iris, avec laquelle ils lavèrent leurs mains ; toutefois, elles ne dévoient pas trop sentir la viande, ny la grosse, car ils ne l’avoient pas touchée, ains (mais) seulement la fourchette. »

La mode nouvelle était entrée à la cour, mais il s’en fallait qu’elle fût acceptée partout, même chez les plus grands seigneurs. Les « dames galantes » se servaient encore tantôt de leurs doigts, tantôt de la fourchette : « Lorsqu’elles mangent des pastez et autres friandises chaudes, et y pèchent, elles mettent, dit Brantôme, la main dedans ou avec les fourchettes. » Et Montaigne confesse qu’il « s’ayde peu de cuiller et de fourchette, et mord souvent sa langue, parfois ses doigts, de hastiveté. » Il faut attendre le XVIIe siècle pour que les Civilités recommandent l’emploi de la fourchette, et même de la cuiller, comme nous l’entendons aujourd’hui.

Nous venons de voir quelle était la façon de manger ; quant à la façon de boire, voici ce que les Civilités nous apprennent. Quand le verre se met sur la table avec le couvert, on le place à droite ; mais, dit Calviac, « le plus souvent, en France, on ne tient pas le verre à table. » Si l’on a soif on demande à boire, et le valet apporte un verre qu’il remplit suivant le désir du convive et remporte après que l’on a bu. Boire est l’occasion d’une foule de politesses ; on échange des santés pendant le repas, et cet échange se fait avec beaucoup de courtoisie. Tantôt on vide son verre en saluant, tantôt on se borne à « saluer avec grâce, approchant le verre des lèvres et y goûtant légèrement pour faire semblant de boire ; cela satisfera un convive de bonne compagnie. » (Érasme.)

Du temps d’Érasme, on admettait « qu’un convive offrît à un autre son propre verre pour y boire ; » parfois aussi « tout le monde buvait dans le même verre ; » et les traités de civilité recommandent, dans ces deux cas, de « s’essuyer soigneusement la bouche avant de boire. » Mais ces habitudes, qui se ressentent encore du sans-façon primitif du moyen âge, disparaissent complètement dans la seconde moitié du XVIe siècle. Montaigne, voyageant en Italie, raconte que, dans les repas officiels, « on luy presentoit un bassin d’argent sur lequel il y avoit un verre avec du vin et une petite bouteille, de la mesure de celles où on met de l’encre, pleine d’eau. Il prend le verre de la main droite, et de la gauche cette bouteille, et verse autant qu’il lui plaît d’eau dans son verre, et puis remet cette bouteille dans son bassin. Quand il boit, celui qui