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L’empereur ne revint pas directement à Paris ; il s’arrêta à Fontainebleau, où il séjourna jusqu’au milieu de novembre. L’affluence de tout ce qui avait le devoir ou le désir de faire sa cour fut très considérable. En ma qualité de membre du conseil, je ne pouvais me dispenser d’y paraître, et j’y vis le commencement de toutes les manœuvres qui allaient amener un des plus grands événemens de l’époque : la dissolution de son mariage avec Joséphine.

Depuis longtemps la plus considérable partie de ce qui l’entourait et sa famille, surtout, le pressaient de renoncer à une union qui ne pouvait lui donner d’héritier et qui l’empêchait de songer à des alliances fort avantageuses. Déjà, lors de son sacre, les plus grands efforts avaient été tentés pour l’empêcher de fortifier les liens qui l’attachaient à l’impératrice, en la faisant couronner à ses côtés ; mais tous ces efforts avaient été rendus vains par l’ascendant naturel et très puissant d’une femme pleine de charmes et de grâces, qui s’était donnée à lui lorsque rien ne présageait encore sa haute fortune, dont l’esprit conciliant avait souvent aplani autour de lui d’assez grandes difficultés et lui avait ramené beaucoup de caractères aigris ou hostiles, qui semblait en fin avoir été constamment une sorte de bon génie, chargé de veiller sur sa destinée et d’écarter les orages qui pouvaient en troubler le cours.

Sous ce dernier rapport, il entrait dans l’attachement de Napoléon pour Joséphine un instinct superstitieux que les événemens n’ont que trop justifié. À l’époque de son couronnement, une circonstance, fort extraordinaire et très ignorée, montre à quel point il lui était difficile de résister aux désirs de l’adroite et séduisante compagne qui, malgré tant d’infidélités réciproques, restait toujours le premier de ses attachemens. Son mariage avec elle n’avait été contracté que civilement ; le pape en exigea la consécration devant l’Église, comme un acte absolument nécessaire et sans lequel il lui serait impossible de couronner l’impératrice, en même temps que l’empereur. Napoléon repoussa cette demande presque jusqu’au dernier moment, soit qu’il la regardât comme une condamnation de sa vie passée, soit qu’il lui répugnât de rendre indissoluble un engagement que la politique pouvait un jour lui commander de rompre. Peut-être aussi soupçonnait-il Joséphine d’avoir inspiré l’exigence du pontife. Quoi qu’il en puisse être, il lui fallut céder, et j’ai la certitude que, dans la nuit qui précéda le sacre, il fut marié par le cardinal Fesch dans son cabinet et sans témoins. Le cardinal en donna l’assurance au pape. Je ne puis avoir aucun doute sur ces détails, car je les tiens de M. Portalis fils, dont le père, alors ministre des cultes, servait d’intermédiaire