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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/794

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se promenant avec plusieurs membres de l’ambassade autrichienne, sous une galerie ouverte qui se trouvait entre notre salle et le jardin. Il paraissait assez tristement résigné à ne pas dîner ce jour-là, lorsque M. Regnaud l’invita de fort bonne grâce à prendre place au milieu de nous ; il accepta sans hésiter, et nous nous trouvâmes ainsi, dans cette journée mémorable, les seuls occupés du soin de traiter l’étranger qui méritait le plus d’égards, le premier ministre d’Autriche, enfin, celui qui, à partir de ce moment, était destiné à jouer, en tant d’occasions, un rôle fort important. Il fut, pendant tout le repas, d’une gaîté fort animée, et, au moment de quitter la table, ayant rempli son verre, il s’avança à une fenêtre donnant sur la galerie, qui, seule, nous séparait de la foule dont le jardin était rempli, et but, à haute voix, à la santé du Roi de Rome.

Cette santé, de bon augure, fut accueillie par les cris de joie les plus vifs, les plus éclatans. Presque au même instant vint à passer le prince Kourakine, ambassadeur de Russie, avec une partie de sa suite, qui, lui aussi, semblait avoir renoncé à l’espoir de rencontrer un dîner ; les restes de notre table étaient peu présentables, on les rassembla cependant, on offrit de lui en faire les honneurs et il accepta. Nos hôtes précédens firent donc place aux nouveaux, et ceux-ci s’accommodaient en grande hâte de ce qui avait échappé aux appétits satisfaits. Cette scène assez étrange avait malheureusement une analogie frappante avec les situations respectives des diplomates que notre hospitalité avait successivement recueillis.

Deux mois auparavant, l’ambassadeur de Russie, qui venait de se tenir heureux d’accepter les restes de l’ambassadeur d’Autriche, avait partout le pas sur lui ; tous les honneurs, tous les égards allaient à lui, comme au seul allié, au seul ami véritable de la France. Une loge particulière et au premier rang lui était réservée à tous les spectacles de la cour ; on s’épuisait à son égard en soins, en recherches de tout genre. Quelle différence ! L’ambassadeur d’Autriche, qu’on voyait d’un œil si peu favorable, était devenu l’ambassadeur de famille, il en avait tous les droits, et c’était à qui s’efforcerait de rendre sa position plus agréable, plus brillante.

Les justes susceptibilités de la cour de Russie avaient été bien peu ménagées. Avant de connaître sa décision, d’autres négociations avaient été engagées, et c’est deux jours après avoir reçu une réponse favorable que la préférence, donnée à l’archiduchesse d’Autriche, est rendue publique. Ainsi qu’il arrive presque toujours, l’empereur Napoléon, pour colorer les torts qui existaient de son côté, ne manqua pas d’en imputer au souverain avec lequel il rompait.